De la mer ils entendent, les jours de mauvais temps, le grondement contre les fondations de l'île ; du ciel aussi ils aperçoivent dans le soupirail en gueule de loup des lambeaux croisés aux couleurs changeantes, chair, gris perle, selon l'alternance des heures et des saisons. Ils suivent les étoiles et leur chemin, la présence d'un nuage qui, des mois durant, image d'espérance tenace, apparaît ponctuellement chaque midi, puis se défait brusquement comme un noeud dans les cheveux d'une enfant qui court ; nuage finalement disparu à jamais.
Car l'amour est, comme je le crois, non pas un feu que la main tire du caillou à l'aide d'un briquer, mais une combustion spontanée de l'âme qui seulement lorsqu'elle s'embrase et flambe cherche au-dehors d'elle-même l'être auquel s'accrocher. Sentiment évasif doté de traits tellement opposés les uns aux autres qu'il ressemble à ces maux qu'un unique nom désigne mais dont les symptômes et les effets varient à l'infini. A quelle extrémité ce sentiment m'a poussé, chacun peut aujourd'hui le constater : à ma perdition.
Intérieurement bouleversé, presque corrompu par le commerce de ces hommes, je me demande alors qui je suis ? Nous autres, homme, qui sommes-nous ? Sommes-nous vrais, sommes-nous faux ? Figures de papier, simulacres incréés, ombres inexistantes sur la scène d'une pantomime de cendres, bulles soufflées par la paille d'un prestidigitateur ennemi ?
Auparavant la mort faisait à leurs yeux figure de brève péripétie pour acteurs, étant entendu qu'une fois terminées les ovations et les salutations, chacun retrouverait sa place derrière les décors et redeviendrait soi-même. Tandis
qu'ils découvrent maintenant, de but en blanc, qu'ils ne seront plus jamais eux-mêmes, qu'ils ne seront plus rien, et ils palpent dans leur esprit
l'épaisseur d'obscurité qui, peu à peu, avance...
Mais que dis-je obscurité ? L'obscurité est une cécité où l'on peut de ses doigts aveugles serrer d'autres doigts tout aussi aveugles, et néanmoins
cheminer côte à côte, solidaires dans le souvenir et le regret de la lumière... Alors que la mort n'est ni obscurité ni lumière, mais seulement mémoire abolie, césure, absence totale, incinération sans déchets, où tout ce qui a été, non seulement n'est et ne sera plus, mais est comme s'il n'avait
jamais été...