Citations sur Le Baobab fou (14)
Ainsi, ce matin-là, j'étais allongée sur le lit, ce que je faisais de plus en plus. La fenêtre donnant directement sur le trottoir, je jouissais de ce spectacle qu'était la rue des jambes. Des jambes nues, des jambes habillées, des jambes d'hommes, des jambes de femmes, des jambes en jupe, des jambes en pantalon, des jambes agiles, des jambes minces, des jambes rapides. Des jambes lourdes, grosses, traînantes. Je vis deux jambes hésitantes, serrées dans des bas de qualité, et je sus que c'était la mère de Louis.
Pousser à la liberté ne rendait pas libre,enlever les chaînes au prisonnier n'était pas lui donner la liberté.La liberté c'était la paix.
Ainsi un jour, un de mes frères m'appela: "Tu sais, Ken, tu es très gentille, très bien, sympathique, mais cela ne suffit pas. Nous, nous avons besoin d'une allumeuse, d'une entraîneuse."
Entraîneuse ? Mais entraîner qui dans quoi?
Je fus endormie sans être avertie. La dernière image qui m’était apparue fut cette grosse tête bouffie, baissée sur mes entrailles. Pourquoi était-ce l’homme qui mettait la femme dans certaines situations et pourquoi était-ce toujours l’homme que la femme allait trouver pour régler ses problèmes ?
Il n'arrêtait pas de me complimenter sur ma peau, sa beauté et sa couleur.
Ces Blancs, tous pareils. L'engouement pour le noir. Depuis qu'à l'exposition coloniale, l'Afrique, pour s'imposer, avait commencé à étaler ses fesses et sa peau à travers le monde.
Le mouvement noir né en ces années-là ne me convainquait pas. Il reflétait le stéréotype du mouvement occidental. C'était encore une forme d'aliénation, tout cela avait été fomenté par le Blanc, pour mieux camoufler ses ravages et faire dévier le Noir d'un vrai éveil à une conscience depuis que des oracles avaient trouvé l'idée de négritude que le Blanc noya dans l'embryon sous ses applaudissements.
Pousser à la liberté ne rendait pas libre, enlever les chaînes au prisonnier n'était pas lui donner la liberté. La liberté c'était la paix. Qu'avait deviné Jean Wermer en moi pour me parler de liberté ? Qui étais-je?Comment étais-je?Quel jeu jouais-je? Je n'étais consciente de rien. Que voulait dire s'assumer quand l'être ne s'était pas accepté et édifié ? Je voulais vivre, sans appréhension, sans savoir. Vivre l'instinct dont je n'avais aucune conscience, aucun contrôle. L'instinct sauvage né dans la fumée du train qui avait emporté la mère ! Comme la bête traquée qui se jetait dans le piège tendu par les chasseurs, je cherchais une issue en étouffant des élans naturels (P.101)
Je n'avais point mal. Je n'avais pas d'infection. J'étais tuée. Ce n'était pas l'intervention, c'était l'avortement en lui-même qui m'avait abattue. (P.76)
Pour avoir les autres,pour être avec les autres,parlons-leur un langage qu'ils comprennent,ayons une attitude qu'ils distinguent,restons à leur niveau,le seul langage que tous les êtres humains comprennent,c'est le langage humain.
J'étais seule, comme seul un arbre savait l'être. Au village là-bas, devant la concession familiale enfouie dans les baobabs, il y avait un arbre fruitier, très grand. Son tronc s'était penché pour mieux soutenir avec grâce son feuillage généreux. Combien de fois je l'ai regardé, quand tôt le matin, j'allais ramasser les fruits tombés, il était là. Il affrontait seul, les baobabs, la savane, les vents, le soleil, le festival des nuits du Ndoucoumane. Cette solitude-là n'était pas comparable.