Penser toute cette organisation de dingues simplement pour voir s'allumer l'oeil d'un gamin qui voit passer un voilier du bout du monde sur le morceau de Seine où il est né.
On est face à un meurtre. Un meurtre sur l’Armada ! Et pas un meurtre banal !
La rue étroite empestait l’urine, plus encore que d’habitude ! Les recoins de la ruelle offraient des cachettes idéales pour les hommes désirant soulager leur vessie, ceci sans doute depuis le Moyen Age, mais le pic de consommation de bière pendant les nuits de l’Armada avait transformé la rue en urinoir à ciel ouvert.
Il fallait à tout prix qu’elle trouve le temps de passer voir son père. Il ne sortait plus, quasiment, même pendant l’Armada. Auparavant pourtant, il adorait la voile, il s’intéressait à tout cela.
Les hommes ne craquent pas que pour les bimbos blondes hautes sur pattes. Ils aiment aussi les modèles réduits sexy.
De toutes les façons, son piège à mecs, ce n’était pas son corps de petite poupée, c’était son visage. Sa bouille de clown. Son visage mutin comme on dit plus sérieusement. Des yeux noirs comme des billes, des pommettes rondes, une tignasse ébouriffée. Châtain aujourd’hui. Passée par toutes les couleurs ces vingt dernières années.
Elle avait vu sous ses yeux incrédules, comme tous les autres Rouennais, la sage capitale normande se transformer en un immense forum multiculturel. Le centre du monde, où tout était permis. Une révolution culturelle. Un incroyable cadeau pour sa majorité ! Ceux qui n’avaient pas eu dix-huit ans pendant les « Voiles » de 1989 ne pourraient jamais comprendre.
Le commissaire pensait en avoir terminé avec les émotions. Pouvoir se ressaisir, s’organiser.
Le pire était pourtant à venir.
Au moment où la police scientifique se penchait à nouveau sur le corps du jeune Mexicain, un téléphone portable sonna.
A moins d’un mètre d’eux.
Il fallait que cela tombe sur lui !
La somme d’ennuis en perspective lui donna le vertige. Il n’osait même plus affronter du regard la foule de curieux. Avec un peu de malchance, un journaliste avait tout vu.
Le commissaire Paturel avait mis plusieurs années avant de comprendre pourquoi l’inspecteur Stepanu ne souriait jamais. Ce n’était aucunement une question de caractère. C’était simplement de la pudeur. Stepanu avait ramené de Roumanie une vilaine dentition. Avec le temps, il avait su développer des rictus qui lui permettaient d’exhiber le moins possible ses dents jaunies, notamment en évitant les sourires inutiles.