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Critique de Baldrico


Un grand merci à Masse Critique et aux éditions le passager clandestin pour l'envoi de ce petit livre.

C'est un des volumes de la collection Précurseurs -ses de la décroissance, qui se composent d'une présentation d'un auteur et de ses principales positions sur le thème, suivie d'un recueil de textes. Comme souvent, le recours direct aux textes de l'auteur est plus parlant que la présentation.
Mais commençons par Günther Anders, Monsieur "Autrement". C'est un pseudonyme, Günther Anders est né Günther Stern mais après avoir été refusé à l'habilitation de philosophie il pratique le journalisme où on lui demanda de choisir un pseudonyme. Il avait étudié auprès des plus grands penseurs de l'entre-deux guerres (Husserl, Heidegger, Jonas), a été marié à Hannah Arendt et était le cousin de Walter Benjamin. Rien que ça. Lors de l'arrivée des nazis, il s'exila à Paris puis en Californie. Il revient en Europe en 1950 et s'installe à Vienne.
Pour Anders, l'humanité a subi une double catastrophe dans les années 1940: l'extermination de masse et la production de la bombe atomique. Ses ouvrages, notamment L'obsolescence de l'homme et Nous, fils d'Eichmann, sont une tentative pour penser les changements radicaux qui en découlent. C'est que la possibilité de la destruction totale de l'humanité change les données de base de la morale. La philosophie ne doit plus être réservée à une élite entraînée à son maniement mais doit concerner tous les humains puisque la question posée est celle de la survie de chacun, et de l'humanité même. Désormais la question morale n'est plus: Comment se comporter en tant qu'humains? Mais: L'humanité doit-elle survivre? L'angoisse existentielle prend une tout autre dimension. Car si l'humanité disparaît, s'il n'y a plus personne pour se souvenir de ce que les hommes ont vécu, c'est comme si la totalité des hommes avait vécu en vain. Tout sens est aboli.
Cela me fait penser à un passage de la route de Cormac McCarthy où le protagoniste visite une maison abandonnée dans laquelle il y avait une bibliothèque, désormais sans objet. Les humains doivent dès lors avoir les yeux fixés sur l'apocalypse à venir, être lucides sur leur responsabilité, ne pas avoir peur d'avoir peur. C'est au prix de cette lucidité qu'ils pourront éviter l'auto-destruction. le problème anthropologique identifié par Anders est celui du décalage prométhéen; l'homme a des facultés d'émotion et d'imagination trop limitées par rapport à ses capacités techniques. Il est incapable de se représenter et de s'émouvoir à propos d'événements d'une telle ampleur. de plus, par les modes de production et d'organisation de nos sociétés, chaque humain n'est plus acteur que d'une infime partie des processus. Les conséquences de ses actes lui deviennent invisibles. C'est en cela que nous sommes des fils d'Eichmann: nous oeuvrons à un processus de destruction dont nous ne nous sentons pas responsables. On peut penser à la façon dont Sebald analyse l'attitude des Allemands de 1943-1945, qui considéraient les bombardements qu'ils subissaient comme une catastrophe naturelle à laquelle ils n'avaient aucune part.
On voit immédiatement l'application qui peut être faite de ces positions aux défis du 21e siècle: catastrophe climatique et effondrement du vivant.
Même si le terme de précurseur n'est peut-être pas très approprié, Günther Anders a en effet produit des réflexions qui nous sont utiles pour penser notre présent. Il faut donc remercier une fois encore l'éditeur et l'auteur de ce petit volume d'en produire une introduction tout à fait accessible. C'était bien le voeu de Günther Anders.

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