Fin d'une grande trilogie enfin publiée en France. Merci, encore, au éditions Au diable vauvert d'avoir ainsi mis à notre disposition Xenogenesis d'
Octavia E. Butler, une oeuvre majeure. Et maintenant, l'avertissement habituel : si vous n'avez pas lu L'Aube et L'Initiation, les premiers tomes de cette série, allez à la rigueur lire la conclusion et découvrir que j'ai aimé Imago, mais ne lisez pas cette critique. D'abord, vous risquez de ne pas y comprendre grand-chose et en plus, vous allez peut-être gâcher votre futur possible plaisir de lecture en vous privant de la découverte d'informations grappillées dans les premiers volumes. Si vous êtes à jour, je vous attends un peu plus bas.
Comme nous l'avons vu dans les premières lignes consacrées à ce roman, Octavie E. Butler ne perd pas de temps. Elle plonge directement son lecteurice dans l'essentiel du texte : la métamorphose, qui sera le centre du roman. « J'entamai ma première métamorphose si discrètement que personne ne la remarqua. » On est de suite intrigué par le contenu. Pas totalement, car on a lu les tomes précédents, L'Aube et L'Initiation. Et l'on sait que les personnages, humains comme extraterrestres, subissent des mutations, volontaires ou non. Et que ces êtres qui ont sauvé une partie de l'humanité, quand ils grandissent, se métamorphosent au fur et à mesure de leur évolution, de leur passage à l'âge adulte.
Mais ici, comme chez Kafka, quelque chose ne va pas. Jodahs, dont nous suivons les pensées tout au long du récit, semble se diriger vers une forme qui lui était interdite. Car, il faut le rappeler, les métamorphoses sont encadrées, en quelque sorte, par les Ooloi. Ils gèrent tout le côté génétique avec une maîtrise exceptionnelle. Or, la métamorphose de Jodahs surprend. Nikanj, l'Ooloi de la famille, finit par comprendre que c'est dû à une négligence de sa part : il s'est relâché et son affection pour l'enfant qu'était Jodahs a créé ce rapprochement. Mais les conséquences peuvent être dramatiques. Les Oankali avaient déjà régulé les Humains afin d'éviter des mâles, au début, afin d'éviter qu'ils ne reproduisent le Conflit, cette tendance qui a conduit l'humanité à sa perte. Ils font la même chose pour les Ooloi : ces êtres sont extrêmement puissants, puisqu'ils peuvent jouer avec les gênes. Ils sont la mémoire des espèces rencontrées, car ils stockent dans une poche interne spéciale des échantillons de chaque plante, animal croisés. Ils peuvent également soigner, mais aussi blesser, voire tuer. On ne peut donc les laisser se promener seuls sans être absolument certains qu'ils sont stables et maîtres de leur corps et de leur pensée. Or, Jodahs va être le premier Ooloi façonné. S'il veut vivre librement, il va lui falloir convaincre tout le monde de son innocuité.
À la différence des deux romans précédents où l'autrice utilisait le pronom « elle » ou « il » pour les personnages centraux, dans Imago, elle a choisi le pronom « je ». Nous, lecteurices, sommes Jodahs. Nous ne découvrons le monde qu'à travers ses sens ; nous ne comprenons les autres qu'à travers ses pensées, ses sentiments. Et donc, nous sommes confrontés de l'intérieur à ses interrogations, ses inquiétudes. Ne serait-ce que son choix de sexe. Il (car il se mâle au début, mais je devrais dire « iel » car cela correspond mieux à ce flou quand au genre qui caractérise Jodahs), iel évolue selon les besoins de ceux qui l'entourent. Iel veut plaire aux humains qu'il convoite et donc, s'adapte à leurs désirs. Afin de les conquérir plus facilement et parce qu'il en ressent la nécessité.
Cependant, un point m'a gêné : les humains rencontrés ne semblent pas choisis pour leurs qualités, mais pour le simple fait qu'ils sont humains et que les Oankali en ont besoin. Un peu comme des animaux de compagnie, certes aimés, chéris, mais interchangeables. Quand Aaor, l'adelphe de Jodahs, en manque de compagnie humaine sent la présence d'individus près de lui, il n'hésite pas une seconde, ne cherche pas à les examiner. Il fonce et les prend sous sa coupe. Toutes ces relations entre Humains et Oankali sont assez éloignées de notre idée de l'amour. C'est davantage une question de besoin épaulé par des substances chimiques sécrétées par les Ooloi, qui leur permettent de se rendre attirants pour les hommes et les femmes désirés. Même si, parfois, l'autrice explique que cette « drogue » libère en fait les individus de leurs blocages, les désinhibent, cela ressemble quand même trop à des viols. Dérangeant, je le disais. Et vivifiant, car cela interroge fortement sur les relations entre personnes, dont certaines avec ascendant sur les autres. La force de cette autrice qui appuie là où ça gratte et nous oblige à nous interroger.
Imago achève en beauté la trilogie. Ce roman, le plus court des trois, se montre pourtant d'une grande densité dans les questions et les réponses qu'il apporte. Et tout cela dans un récit qui ne connaît pratiquement aucun temps mort et immerge ses lecteurices du début à la fin dans une quête identitaire passionnante. Lire Xenogenesis est une expérience déstabilisante et nécessaire.
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