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Critique de Takalirsa


Dino Buzzati nous offre un recueil de nouvelles à chute ironiques à la manière de Roald Dahl dans Kiss kiss, sauf que plus les histoires défilent, moins il y a d'humour et plus la noirceur s'installe. Certaines font même froid dans le dos car elles décrivent notre société sous ses aspects les plus mauvais.

Comme c'est souvent le cas dans les recueils, j'ai trouvé les textes d'intérêt inégal. J'ai écarté d'emblée ceux qui parlaient de politique, de guerre et de religion. C'est la première, « Le K », qui avait attisée ma curiosité et je n'ai pas été déçue. Tel le kraken, le K est « le monstre que craignent tous les navigateurs de toutes les mers du monde. C'est un squale effrayant et mystérieux, plus astucieux que l'homme. Il choisit sa victime et la suit pendant des années, toute la vie s'il le faut, jusqu'au moment où il réussit à la dévorer »… Brr ! Il devient « l'obsession secrète » de Stefano qui l'a aperçu tout petit depuis le bateau de son père. Au final, « je ne te pourchassais pas pour te dévorer comme tu le pensais » et tous deux auront perdu « presque 50 ans inutilement »… Cette superstition entretenue par les marins aura « seulement réussi à gâcher mon existence et la tienne ». D'ailleurs le K existait-il vraiment ? Ce que Stefano a pris pour « la Perle de la Mer » ressemble plutôt à « un petit galet arrondi »… Belle réflexion sur ces peurs qui régissent nos vies inutilement.

J'ai trouvé « Le défunt par erreur » très drôle : un peintre qui lit l'annonce de sa mort dans le journal (« Vous m'avez tué ! C'est monstrueux ! ») se rend compte que sa disparition convient à tout le monde (« La chance ! Quand un artiste meurt, les prix de ses tableaux montent considérablement »). Constatant que « le monde continuait à tourner » sans lui, il s'installe dans son cercueil déjà prêt…
Jolie personnification dans « Un amour trouble » racontant la fascination d'un homme pour une maison dont il tombe littéralement amoureux. « Le pauvre garçon » méchamment surnommé Laitue fait bien pitié (« créature fragile, innocente, humiliée, sans défense »), jusqu'à ce qu'on comprenne que ce Dolfi est… le petit Hitler.

« Le casse-pieds » m'a fait rire (au début, on ne comprend rien à ses propos décousus) jusqu'à ce que je réalise que c'est un professionnel gagnant sa vie en enquiquinant les autres (on finit par lui donner un billet pour qu'il s'en aille).
Dans « Le compte », un poète au faîte de sa gloire doit payer pour avoir utilisé les souffrances des autres afin de créer ses chefs-d'oeuvre. Chacun son tour de souffrir ! de même, dans la nouvelle fantastique « Le veston ensorcelé », le narrateur se rend compte que « l'argent que le veston me procurait venait du crime, du sang, du désespoir, de la mort »… Un pacte avec le démon qui soulève un cas de conscience !

Jolie réflexion également dans « Chasseurs de vieux » sur la façon dont la vieillesse est considérée dans nos sociétés. Un quadragénaire se retrouve pris en chasse par un groupe de jeunes… dont son fils. Mais la roue du temps tourne et bientôt, le chasseur devient à son tour le chassé.
Un peu plus loin, une chasse aux oeufs qui dégénère montre l'injustice des inégalités sociales, le mépris des plus riches envers les plus démunis, et l'opiniâtreté à maintenir ces inégalités, jusqu'au ridicule.

« Dix-huitième trou » m'a laissée mal à l'aise. L'histoire est étrange, on sait qu'il y a un message, mais lequel ? C'est lorsqu'on se fiche complètement des résultats qu'on est le plus performant ? le protagoniste compare la vie, sa femme, sa fille, son travail à des mouches qui « m'ont sucé, vidé, et maintenant je suis fatigué » (d'ailleurs il meurt). Est-ce une référence aux obligations sociales qui nous usent ? Une invitation à méditer sur le sens à (re)donner à son existence ?
Dans le même ordre d'idée, « Jeune fille qui tombe… tombe » compare la vie qui défile à une inexorable chute du haut d'un gratte-ciel. Celle qui tombe assiste à des scènes familiales à certains étages (symbolisant les grandes étapes de l'existence) et vieillit au fur et à mesure qu'elle se rapproche du sol (« Pourquoi vous pressez-vous autant ? » : parce que les années passent si vite !), où l'attend bien sûr la mort. Cela a un côté poétique, je trouve, même si c'est une poésie un peu sombre. La mort est inévitable, alors autant l'accepter, y compris quand elle est donnée par votre épouse adorée qui cherche à vous empoisonner (« La mort était un paradis, puisqu'elle venait d'elle »)…

On retrouve un homme très amoureux dans « Petite Circé » : celle-ci fait ce qu'elle veut de son prétendant qui se transforme en docile toutou, au sens propre !
Enfin, j'ai aimé la symbolique des « Bosses dans le jardin », dans laquelle tout ce qui arrive dans la vie du héros se répercute sous la forme d'un monticule de terre. Jusqu'à ce que le jardin, au bout de plusieurs années, se transforme en champ de bataille ! Quand vient le bilan de sa vie, à chacun de faire avec sa conscience…
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