Je suis toujours debout avant le jour, et le vois lentement paraître. À cette heure où le parc et la maison n’existent que pour moi j’éprouve, plus que jamais, le sentiment qui m’est ici familier de vivre quelque chose d’éternel, mais aussi d’étonnamment fugace.
Je laisse glisser ma main sur le rebord du billard, qui est d’un bois jaune et lisse que des générations ont caressé. Sur ses flancs, au-dessus des pattes trapues qui le soutiennent, les quatre côtés sont envahis par des arabesques en marqueterie où galopent et se penchent de petits singes. Il existe un contraste qui m’a longtemps intrigué entre ce meuble si lourd, et ces petites bêtes qui ont l’air de vous narguer, et de se moquer de quoi, grand Dieu ?
Amer savoir, dit Baudelaire, celui qu'on tire des voyages. J'aurais pu parcourir toute la terre, et n'en rapporter rien. C'est en ne quittant guère cet étroit univers, que je n'en finis pas d'apprendre, et de m'etonner.
Certains arbres furent envahis par les palombes, qu'on ne chasse plus, et des lièvres couraient dans les prairies. "J'ai feuilleté dans la bibliothèque, m'écrivit mon père, un livre sur un peintre que j'ignorais : Breughel de Velours. J'y ai découvert un Paradis terrestre tout regorgeant d'animaux en liberté et de fleurs : c'est Nollet en ce moment. Mais il n'y a pas de paradis sans toi."
On se souvient de la date et du lieu d'une lecture, quand elle a été une grande joie.
Ce bois touffu était son domaine, où il se promenait à loisir, solitaire et un peu triste, comme tous les dieux.
Il faudrait toujours toujours traiter ceux que l'on aime comme si, à la minute qui suit, on allait les perdre.
Je ne médirai pas de la vraie littérature : elle exprime sans doute ce qui nous échappe sur l'instant, mais dont soudain l'évidence, parce qu'elle nous est enfin révélée, nous frappe en plein coeur.