AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Sarindar


En juin 2017, sort en salles de cinéma, un film français intitulé : HHhH, réalisé par Cédric Jimenez, adapté du roman de Laurent Binet publié en 2010.
On y parle d'un homme qui ne fait guère honneur à l'humanité : Reinhard Heydrich (1904-1942), surnommé "l'Archange du Mal", le "Fouché de Hitler" ou encore le "Boucher de Prague".
Avant d'expliquer ce qui lui a valu ces surnoms, il faut dire un mot de ses origines. Il est né à Halle, en mars 1904, d'un père (Bruno Heydrich, protestant) et d'une mère (Elisabeth Krantz, catholique) tous deux musiciens, fervents admirateurs du "germanisme wagnérien" et qui tenteront un temps de faire de leur fils un chanteur d'opéra, ce qui s'avérera impossible avec la voix de fausset dont ce dernier était affligé, moyennant quoi, les parents tenteront de faire de lui un pianiste et un violoniste, qui pratiquera toute sa vie les deux instruments.
Est-ce à cause de lui que l'on dira que les Nazis, criminels de guerre et criminels contre l'humanité, pouvaient être de véritables esthètes, sensibles notamment à l'art musical ?
Quoi qu'il en soit, c'est à de toutes autres occupations que Reinhard Heydrich va se livrer. Ses ambitions sont d'abord tournées vers une carrière dans la marine militaire, où il est accepté en mars 1922 et où il fait son apprentissage de futur officier sur le voilier-école Niobé. de taille haute, c'est un sportif, qui s'adonne à la natation, à la voile et à l'escrime. Professionnellement, il évolue vers le monde du renseignement, qu'il ne quittera plus jamais, d'abord pour le compte de la marine. Il fait alors la connaissance d'un certain Wilhelm Canaris, futur amiral et futur chef du contre-espionnage militaire (l'Abwehr), dont il croisera plusieurs fois la route par la suite.
Les années passent. Heydrich rencontre en décembre 1930, Lina von Osten, fille d'un professeur qui enseigne à Fehrman, une île sur la Baltique. Il l'épouse peu après. Mais c'est alors qu'une jeune fille dont l'identité est restée inconnue révèle qu'il a aussi une liaison avec elle. Cette situation embarrasse la marine militaire, et l'on intente donc un procès à Heydrich pour ses moeurs légères et sa double vie. le tribunal est présidé par le futur amiral Raeder, un homme qui ne plaisante guère, et le refus de l'accusé de reconnaître sa faute lui vaut d'être radié des cadres de la marine et chassé de celle-ci en mai 1931.
Que va faire Heydrich, maintenant ? Si l'on n'était dans une Allemagne qui se laissait gagner par l'horrible propagande de Hitler pour un relèvement de la nation par la force, pour la prise d'une revanche sur l'humiliation du traité de Versailles et sur la promesse d'élimination des Juifs, des Communistes, des Socialistes et de tous ceux que l'on désignait à la vindicte publique, Heydrich aurait peut-être pu faire parler de lui autrement qu'il n'allait le faire. Mais non, cet homme était décidément bien voué à l'action criminelle où il allait se distinguer.
Nous le retrouvons donc dans la SS, où il gravit rapidement les échelons, auprès de Himmler, qui est à la tête de ce service de sécurité paramilitaire à l'uniforme noir et à la chemise brune puis blanche, chargé de la protection personnelle de Hitler. Cette organisation est issue des Sections d'assaut (SA), les chemises brunes, vaste mouvement nazi pré-militarisé dont la tête est Ernst Röhm. Et il y a, avec le temps, une rivalité qui s'installe entre ces deux groupes. Elle ne cessera de se creuser, jusqu'à ce que l'un des deux l'emporte sur l'autre.

Heydrich, ayant réussi en juin 1932 à se laver d'un soupçon quant à de possibles origines juives par sa grand-mère paternelle, - l'on apprend en effet lors de l'enquête qu'il s'agit d'un remariage après le décès du grand-père paternel de Heydrich, et qu'il n'est même pas sûr que le second conjoint soit de confession judaïque ou juif de naissance -, va se dévouer corps et âme, diaboliquement et plus que les autres, aux activités criminelles et barbares des Nazis, et incarner cet idéal dévoyé dans les rangs de la SS. Il se voudra un aryen plus "pur" que tous les autres et se lancera lui-même dans des recherches sur l'ascendance des futurs dirigeants du IIIème Reich, Hitler et Himmler en tête.
Le 30 janvier 1933, le Führer Adolf Hitler accède au poste de chancelier, à Berlin. Pour obtenir le soutien de l'armée, il a besoin de donner des gages à cette dernière. Et le principal est d'empêcher que Röhm, le chef des SA ne cherche à coiffer l'ensemble de l'organisation militaire allemande, en substituant la SA à l'armée régulière ou en intégrant celle-ci dans la SA. Hitler va donc devoir éliminer son bouillant compagnon de lutte, Ernst Röhm, et il va confier à Himmler et à Heydrich le soin de s'en charger. Ce sera la sinistre Nuit des Longs Couteaux en Bavière, en juin et juillet 1934. La SA sera ensuite mise au pas et placée sous le commandement d'un homme plus obéissant. Ce sera le début d'une longue série d'éliminations et d'opérations de déstabilisation chez les adversaires potentiels du régime nazi et de l'Allemagne pour Heydrich, qui est bien sûr devenu membre du NSDAP (le parti) et à qui Himmler abandonne, dès 1931, la tâche de constituer un service de renseignements, service IC, qui deviendra par la suite letrès redoutable Sicherheitsdienst (SD).
C'est Heydrich qui va lancer dès juin 1933 l'ordre d'arrestation de Thomas Mann, le grand écrivain, Prix Nobel de Littérature, mais fort heureusement, ce dernier, alors en tournée conférencière sur Richard Wagner à travers l'Europe, ne reviendra pas à Munich, où les sbires d'Heydrich l'attendaient, mais qui se verra en revanche confisquer sa maison, ses livres et des cahiers de son journal personnel.
C'est Heydrich, qui va assister, en prenant une part de pouvoir de plus en plus grande, son "supérieur" Himmler, devenu en 1936 le chef de toutes les polices du Reich. C'est alors qu'est créé le Reichssicherheitshauptamt (RSHA), qui intègre le SD et la Sipo, la très barbare Gestapo et la Kriminalpolizei, dont les activités seront bientôt tristement célèbres.
C'est Heydrich qui a vraisemblablement joué un rôle dans l'assassinat du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et de Louis Barthou à Marseille en octobre 1934.
C'est Heydrich qui va enfumer le régime stalinien en l'amenant sournoisement à faire le ménage dans son état-major militaire en juin 1937 et à éliminer de grands chefs militaires soviétiques comme Mikhaïl Toukhatchevski, qui feront cruellement défaut à l'URSS quand Hitler déclenchera l'opération Barbarossa en juin 1941.
C'est Heydrich qui obtempère aux ordres quand, après le meurtre d'un attaché d'ambassade allemand par un Juif, Herschel Grynszpan, à Paris, Hitler et Goebbels provoquent un déchaînement de haine contre les Juifs qui se traduira par des violences, des crimes, une vague d'arrestations, des bris de vitres de magasins, des mises à feu de synagogues, en novembre 1938, l'ensemble étant tristement connu sous le nom de "Nuit de Cristal".
C'est Heydrich qui, aidé par l'un de ses bras droits, Alfred Naujocks, organise la mise en scène de l'attaque par de faux soldats polonais de la station de radio allemande de Gleiwitz qui servira de prétexte à Hitler pour déclencher le 1er septembre 1939 l'entrée en Pologne des troupes allemandes, ce qui sera l'étincelle de la Seconde Guerre mondiale.
C'est Heydrich qui, nommé ironiquement et sataniquement Reichsprotektor pour le protectorat de Bohême-Moravie (la Tchécoslovaquie) par Hitler en 1941, pour seconder puis remplacer le très inefficace diplomate Konstantin von Neurath. Heydrich y fera régner la terreur tout en jouant les paternalistes à l'égard des ouvriers en améliorant leurs salaires pour qu'ils intensifient la production industrielle au service du Reich. Il suffira notamment d'évoquer ici le cas des usines de fabrication automobile Skoda, mais la Bohême-Moravie sera aussi le lieu où plusieurs entreprises déménageront pour se mettre hors de portée des bombardiers alliés pendant toute la durée du conflit.
C'est Heydrich qui, sur ordre de Hitler, se fait froidement le promoteur de la Solution finale contre les Juifs lors de la conférence tenue à Wannsee, le 20 janvier 1942, qui va déboucher sur l'Holocauste dont vont être victimes des millions de Juifs raflés dans toute l'Europe occupée.
C'est Heydrich qui, tout en installant à Paris le général SS Karl Oberg, va rencontrer le chef de la police française, René Bousquet, qui va organiser ce que l'on a appelé la rafle du Vélodrome d'hiver.
Un tel homme, "cocher-éboueur du Reich", ne pouvait que s'attirer la haine de tous ceux qui luttaient contre la barbarie nazie.
Il tomba enfin dans un traquenard, victime d'un attentat perpétré contre lui par des commandos tchécoslovaques formés en Angleterre, alors qu'il quittait en Mercedes, accompagné de son seul chauffeur, sa résidence de Panenske Brezany pour regagner son bureau officiel au Hradcany, à Prague, le 27 mai 1942 (opération Anthropoid). Une grenade antichar explosa à l'arrière de la voiture, traversant sièges et portière, dont des fibres pénétrèrent le corps de Heydrich, qui, transporté une heure plus tard à l'hôpital de Bulovka, rendra son âme au diable, touché par la septicémie, le 4 juin 1942, au matin.
La répression sera terrible : les auteurs de l'attentat se réfugieront dans l'église des Saints Cyrille-et-Méthode, que j'ai pu visiter, et périront dans la crypte, après une tentative d'inondation, le 18 juin 1942, les uns tombant les armes à la main, les autres se suicidant. Un très beau film tchèque, dont l'illustration sonore est le premier mouvement de la cinquième symphonie de Beethoven, a retracé ces événements dans la décennie 1960.
Mais cela ne suffisant pas, un village entier sera rayé de la carte par les Nazis, le village-martyr de Lidice, dont les habitants seront tous exécutés, brûlés ou déportés.
A Heydrich, pour lequel Hitler organisera des funérailles grandioses, succèdera un autre fou criminel, Hans Frank, qui le secondait jusque-là.
Himmler, qui éprouvait à l'égard de Heydrich de l'admiration mêlée à de la crainte, montra à quel point ce dernier pouvait être redouté en mettant immédiatement la main sur les archives personnelles du défunt. Sans doute redoutait-il quelque chose pour lui-même ?
Le "porc a fini par crever" aurait dit Sepp Dietrich, le chef de la garde personnelle d'Hitler, lui, qui n'était pas non plus un ange de bonté. C'est dire combien ce sinistre Heydrich faisait trembler de monde. En le tuant, les hommes qui l'ont visé le 27 mai 1942, ont rendu un immense service à l'humanité, même si l'horreur n'a malheureusement cessé que trois ans plus tard avec l'écroulement du IIIème Reich, le plus horrible régime qui ait jamais existé sur terre.
Souhaitons que les hommes ne servent plus un jour que la paix et l'amour, universellement.
Commenter  J’apprécie          5717



Ont apprécié cette critique (53)voir plus




{* *}