Citations sur La Première Enquête de Montalbano (33)
Il comprit que le juge Rosario, justement, était le point faible de cette histoire. Ou mieux, le point qu’il n’avait pas compris. Ou mieux encore, le point qu’il avait tout de suite considéré comme acceptable. Il poussa un soupir profond, d’un coup l’air de la mer lui entra dans la coucourde, la lui nettoya de la moindre poussière, toile d’araignée, saleté. Maintenant, la tête libérée et lucide, il pouvait commencer à bien raisonner.
– Mimì, au milieu de toutes les conneries que tu as dites, l’autre jour, t’en as dit une qui n’était pas con. À savoir qu’il tue en augmentant les enchères. C’est ce qui m’inquiète. Un poisson, un poulet, un chien, une chèvre, un âne. Et maintenant, de quel animal ça va être le tour ?
– Bah, fit Mimì, à un certain point, il va devoir s’arrêter, forcément. Par chez nous, il n’y a pas d’éléphants.
Il n’y eut que lui à rire de sa réplique.
– Peut-être vaudrait-il mieux avertir le Questeur, dit Fazio.
– Peut-être vaudrait-il mieux avertir la SPA, dit Mimì qui, quand lui venait le sbromo, l’esprit de galéjer, n’arrivait plus à s’arrêter.
Il entra dans la même vaste salle que l’autre fois, remplie de livres disposés de toutes parts, en piles jusqu’au plafond, par terre, sur les meubles, sur les chaises. Le curé (ou le non-curé) était assis à sa place habituelle derrière une table bancale, avec dans la bouche un gigantesque thermomètre.
– Je me prends la fièvre, dit Alcide Maraventano.
– Et qu’est-ce que ce thermomètre ? ne put s’empêcher de demander le commissaire, ahuri.
– C’est un thermomètre à moût. Après, je fais une règle de trois, dit le curé (ou le non-curé) en se l’ôtant un instant de la bouche pour l’y remettre aussitôt.
– Je m’en fous complètement des grands-pères, des enfants et des petits-enfants, vous avez compris ? explosa le commissaire. Je veux la liste complète pour demain matin, nouveau-nés compris.
– Et après, qu’est-ce que t’en fais ?
– Si d’ici dimanche nous n’avons pas résolu la question, on les rassemble tous quelque part et on monte la garde.
– On les rassemble dans un stade comme faisait le général Pinochet, proposa Augello, ironique.
– Mimì, je suis vraiment admiratif. Que tu sois con, je n’avais pas de doutes là-dessus. Mais je n’avais jamais imaginé que tu puisses atteindre de tels niveaux. Mes compliments les plus vifs. Gloire à toi. Et maintenant, vire ton cul d’ici.
– Livia, tu dois m’excuser mais je crains vraiment de ne pas réussir à me libérer. Il m’est arrivé que…
–Tais-toi !
Et un silence tomba, qui parut taillé d’un coup de hache.
– Ce n’est pas une question de travail, crois-moi, reprit-il au bout d’un instant, courageusement.
La voix de Livia sembla provenir de la pointe septentrionale du Groenland.
– Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
– Tu te souviens de cette dent qui me faisait mal ? Eh ben, il m’est revenu soudain une douleur que…
– C’est moi la dent qui te fait mal, dit Livia.
Et elle raccrocha.
ils laissèrent la villa des Carmosa comme la nuit venait.Le soir était calme et silencieux, les feuilles des arbres ne se parlaient pas entre elles.
De tracassin, en revanche, il n’y en eut qu’un, mais très grand : l’énorme quantité de rapports qu’il dut compiler et la centaine de signatures qu’il dut mettre, en bas, de côté, de travers, dessus, dessous. À un certain point, désespéré, il se demanda s’il aurait jamais plus l’envie de faire d’autres arrestations à l’avenir, s’il fallait supporter tant de bureaucratie.
Ceux qui volent des enfants pour en faire le trafic sont pires que de la merde. Et la merde n’a pas de remords. La merde remet pas en liberté un gamin après l’avoir capturé. Si ça vient à se trouver en difficulté, ça tue.
À perte de vue, pas un centimètre de plage qui ne fût sali. Et la pluie soulignait encore la saleté. « Le prochain déluge universel », ne sera pas fait d’eau, mais de tous nos déchets accumulés à travers les siècles. Nous allons mourir étouffés dans notre propre merde.
La perception d’un fait, dans une enquête, ne peut consister en un choix contextuel, elle doit être absolument objective. Les choix se font ensuite, à grand-peine et non par la perception, mais par raisonnements, déductions, comparaisons, éliminations. Et il n’est pas dit qu’ils ne comportent pas tout de même un risque d’erreur, au contraire.