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Citations sur Le maître dans la diffusion et la transmission du boudd.. (143)

Le charisme du Dalaï-Lama va devenir si important qu’il va être une des personnes les plus médiatisées au monde, une figure clef, à la fois dans la promotion du bouddhisme, de l’unité tibétaine et du nationalisme tibétain, de la défense de la cause tibétaine, plus généralement même, de la paix mondiale -22-.
Sa volonté de créer une unité afin d’exercer une pression sur la Chine, a entraîné depuis l’exil, l’incorporation des régions du Kham et de l’Amdo pour désigner le Tibet culturel et national. Ces régions, comme nous l’avons vu, ont toujours été considérées comme nomades où les lignées étaient largement autonomes. L’histoire du Kham, son identité culturelle, montre bien qu’il était lié à des maîtres locaux et que l'influence de Lhassa y était moindre. Avec l’exil et la volonté d’unification pour faire bloc contre la Chine, le Dalaï-Lama se pose en représentant du grand Tibet historique et culturel regroupant des provinces que le gouvernement de Lhassa n’administrait pas auparavant. La construction imaginaire des élites de la diaspora d’un Tibet en exil unifié pêche ainsi par essentialisme.
Le refus d’assimilation pour nombre de Tibétains vivant en Inde (refus massif de prendre la nationalité indienne par exemple) peut se lire comme un désir de retour à la terre sacrée mais aussi l'expression d’une ethnicité -23- et d’un statut de réfugié octroyant des droits majeurs. Audrey Prost commente le discours nationaliste de la manière suivante :
« The Tibetan nationalist discourse stressing the préservation of the Tibetan héritage on one hand, and the western cultural investment in Buddhism, on the other, happily coïncide in awarding high symbolic currency to the préservation of ‘authentic’ (largely Buddhist) Tibetan lifestyles. Thus gaining access to économie capital through sponsorship means panicipating in the more general agenda of cultural préservation. » (Prost, 2006 :241)

Le sentiment d'identité nationale s’illustre par exemple par la langue commune (le dialecte de Lhassa), un drapeau tibétain, un chant écrit par le tuteur du Dalaï-Lama comme hymne nationale et l'anniversaire du pontife, jour de célébration populaire.
Si le combat politique et la recherche de l’unité est une des priorités du G.T.E., faisant du bouddhisme l'étendard de la nationalité tibétaine, des problématiques internes directement liées à cette recherche d’unité mais également à des facteurs religieux et politiques vont bousculer la communauté tibétaine exilée, loin d’être unifiée. L’émergence d’une classe moderne éduquée au Tibet mais aussi en exil, à la fois indépendante du communisme et de la « domination lamaïste -24- » ne semble pas, au grand regret de l’écrivain Dawa Norbu, être pris en compte par le Dalaï-Lama -25-. Les conflits liés à l'exercice du pouvoir qui partagent et divisent les Tibétains ont des répercussions sur toute la communauté. La sacralité du Dalaï-Lama ne peut être questionnée et les critiques des institutions en exil sont perçues comme des attaques envers le pontife. La censure qui touche plusieurs intellectuels dissidents en est un exemple : c’est le cas de Jamyang Norbu -26-, indépendantiste dont les œuvres ont été à ...
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22- Luc de Heush mentionne dans Charisme et Royauté, qu‘« il y a lieu de prendre en considération dans la domination charismatique un jeu dialectique entre la séduction personnelle du leader et les groupes aux intérêts fort différents qui sont les jouets de cette séduction même », Société d’ethnologie, Nanterre, Paris, 2003, p. 25.
23- C'est d’abord dans les sciences sociales américaines que le terme d‘ethnicity s'impose à partir des années 1970. P. Poutignat ; J. Streifl-Fenart, Théories de l'ethnicité, éd. PUF Paris, 1995.
24- R. Bamett, «Violated Specialness... », in Imagining Tibet, op.cit., p. 301.
25- Ibidem. Dawa Norbu, Tibet: The RoadAhead, London, Rider, I997,
26- intellectuel de renom vivant aux États-Unis. Cf : http://www.rangzen.net


page 90

… plusieurs reprises censurées. Perçu comme un traître et un hérétique par de nombreux Tibétains, il critique la « Voie du Milieu » du Dalaï-Lama.

page 91

(Jamyang Norbu : "the Middle Way Approach"
http://www.phayul.com/news/article.aspx?article=The+Great+Middleway+Referendum+Swindle+-+by+Jamyang+Norbu&id=35262&t=1&c=4
et ...
http://www.phayul.com/news/article.aspx?article=THE+DIALECTICS+OF+BEING+SHEEP+%E2%80%93+by+Jamyang+Norbu&id=35039&t=1&c=4

http://camisard.hautetfort.com/index-3.html
et
http://camisard.hautetfort.com/archive/2008/03/24/tibet-2008.html
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C’est ainsi que le bouddhisme, fer de lance du nationalisme tibétain au Tibet et en exil a pu être instrumentalisé à des fins politiques : la volonté de préservation de la culture et de la religion tibétaine, priorité de la politique du gouvernement tibétain en exil, va passer par la diffusion et la promotion du dharma ; le combat politique d’un Tibet libre offrant une large tribune aux acteurs du bouddhisme tibétain.
La logique missionnaire s’est révélée efficace si on en juge par la présence mondiale de lamas tibétains ayant mis en place des centres et des groupes d’études permettant la propagation de leur religion. Ces lamas, notamment ceux qui occupent un rang hiérarchique important dans l'institution ont conservé leur autorité traditionnelle en exil et demeurent les détenteurs et les dépositaires du pouvoir. D’autres étaient peu connus et ont acquis une réputation internationale en venant en Occident, comme Trungpa ou Namkhaï Norbu. Plus de la moitié de ces lamas exilés se sont installés aux États-Unis, au Canada, en Europe de l’Ouest, en Angleterre, en Australie ou encore en Nouvelle-Zélande -39-. La création d’organisations transnationales dépendant de l’autorité d’un maître en particulier en est un des principaux résultats -40-.
Précisons d’emblée que la clé de voûte de l'édifice religieux bouddhiste tibétain est le lama (tib. bla ma). Sans lui, il n’y a pas de progression spirituelle possible. En effet, le maître est l’intermédiaire exigé qui donne l’accès à l’Éveil. Ce dernier (l’Éveil) est donc subordonné à l'appartenance à une lignée de transmission par moyens sacramentels (les lamas). Le lama agit comme catalyseur, il est à la fois objet de conversion, de respect et de dévotion. Essentiel, il est celui autour duquel se structurent des communautés de fidèles, le sangha (au départ, le sangha ne concernait que la communauté monastique). Comme l’écrit F. Jagou, « Sans le bla-ma, qui est le digne ambassadeur des Bouddhas dans le monde phénoménal, il n’y a pas de Dharma -41- ». D’ailleurs, alors que tous les bouddhistes prennent refuge -42- dans les « Trois Joyaux » que sont le Bouddha, le Dharma, le Sangha (le Bouddha historique, la voie qui mène à la libération et la communauté de ceux qui suivent l’enseignement du Bouddha), le bouddhisme tibétain ajoute à cela les « Trois Racines » : le lama, le yidam (déité d’élection) et la dakini (messagère de l'espace). Philippe Cornu souligne que les trois joyaux du refuge sont inclus dans le maître, dont le corps est le Sangha, sa parole étant le Dharma et la Dakini, et son esprit étant à la fois le Bouddha et la déité -43-. Cependant, il ne faut pas confondre le maître tantrique Vajracarya (« maître de vajra ») avec les différents types d'enseignants religieux qui peuvent être appelés lamas. Ainsi, comme dans l’aire culturelle tibétaine où l’emploi de lama est multiple -44-, il en est de même dans le contexte européen.
Dans la tradition bouddhique tibétaine, le politique et le religieux sont inextricablement liés.

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39 - G. Coleman, A Handbook of Tibetan Culture, London, Orient Foundation, I993.
40 - Comme les organisations suivantes : Dzogchen community, Rigpa International, Karmapa Charitable Trust, La Fondation pour la préservation du Mahayana, La Nouvelle Tradition Kadampa, etc.
41 - « La politique religieuse de la Chine au Tibet », op.cil., p. 40.
42 - L‘entrée dans la voie bouddhique. Le terme sarana traduit par refuge, désigne un point d’appui. Prendre refuge implique la confiance et la foi dans la véracité du Bouddha, l'efficacité du Dharma et l'honnêteté du Sangha. Lors de la cérémonie de refuge, l'aspirant est à genou et récite la formule de refuge par trois fois et se voit couper une mèche de cheveux par le maître. Ce dernier lui remet un cordon de protection, un livret de pratique et un nom tibétain.
43 - Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Seuil, Paris, 2001, p. 633.
44 - Cf. G. Samuel dans Civilized Shamans, Buddhism in Tibetan Societies, Smithsonian Institution Press, Washington and London, 1993.

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D’ailleurs, au Tibet avant l’invasion chinoise, la fusion du pouvoir temporel et spirituel était totale avec l'exemple connu de l’institution des Dalaï-Lamas -45-. On peut alors s'interroger : comment une religion riche et complexe, largement idéalisée, constituée de façon bureaucratique et même « aristocratique », « ce qui est opposé à la représentation démocratique qu’en ont la majorité de ses adeptes occidentaux -46- » a pu trouver un si large écho en Occident ?
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45 - « Maître Océan de Sagesse », titre donné par Altan Khan à Sönam Gyatso, abbé de Drepung.
46 - R. Liogier, Le bouddhisme mondialisé, op.cit., p. 5l.

page 18
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Au prix des stages s'ajoute le prix de l'hébergement et de la nourriture. Les disciples sont en fait souvent encouragés par leur(s) maître(s) à tout faire pour tenter d'amener des fonds dans l'organisation et de participer par-là aux différentes activités engagées. Cela prend des formes complètement hétérogènes. Un artiste peintre vend par exemple quelques-unes de ses toiles pour le bénéfice du centre dont il dépend ; un autre dispense des cours de yoga en plus de son activité professionnelle dont les recettes vont au maître et à ses activités, un autre tient un commerce dont la moitié des bénéfices va au centre, etc. L'attribution d'un pouvoir spirituel aux diverses donations amène à percevoir l'organisation d'un maître comme une « banque ou bourse de mérite et prestige », comme le suggère Bernard Hours à propos du monastère bouddhiste en Asie du Sud-Est. En tant qu'institution, le monastère confirme, légitime et accentue les inégalités, « tout comme les banques ne prêtent qu'aux riches » et à ceux qui détiennent des garanties. Dans un contexte fort différent, ces interprétations métaphoriques sur le monastère d'Asie du Sud-Est, sont tout à fait pertinentes et peuvent s'appliquer aux centres français, plus largement occidentaux.
Cependant, l'aspect purement matériel de l'argent n'est pas, bien entendu, le seul moyen d'aider son maître, son centre et l'activité qui en dépend. Donner son temps, ses compétences, son énergie et ses bras est un complément courant, qui, par contre, peut être systématisé car il constitue un des fondements sur lequel s'appuie un centre, qui fonctionne largement (pour certains exclusivement) grâce à l'activité bénévole.
p. 227
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La présence sur le sol français de plus de 200 « centres du dharma »-30- (exactement 204 pour l’année 2005) dont plusieurs temples et quelques monastères, mérite une attention particulière quant aux modalités de diffusion et de transmission de cette religion (le bouddhisme tibétain)-31- dans un nouveau contexte culturel et religieux. Même si ces centres ne sont pas les seuls objets de cette étude, ils sont des lieux incontournables dans le processus de diffusion, d'implantation et de transmission du dharma. Ils sont des lieux privilégiés pour l’observation directe de pratiques religieuses, sociales, économiques et politiques. Ces divers centres dépendent tous de
l’autorité d’un maître particulier.
Après l’exil de plusieurs milliers de Tibétains (80 000-100 000)-32- en Inde en 1959 sous la protection du Dalaï-Lama (certains maîtres avaient déjà quitté le Tibet à partir de 1951), le gouvernement tibétain, installé à Dharamsala, a choisi le bouddhisme comme fondement du nationalisme. Comme l’écrit Fabienne Jagou : « Depuis sa fuite du Tibet, le XIVe Dalaï-Lama et son gouvernement en exil véhiculent l’idée que la religion tibétaine est unique, qu’elle unit tous les Tibétains et qu’à ce titre elle doit être préservée-33- » et de ce fait, être diffusée.
Les Tibétains — tout au moins l’élite tibétaine en exil — ont adopté une représentation mythique d’un Tibet sacré, national et spirituel, indispensable pour maintenir la vision d’un combat pour un « Free Tibet ». Cette construction (reconstruction) se superpose à la représentation mythique occidentale du Tibet, véritable paradis terrestre, un Shangri-La -34-. Ce dernier a facilité l'exportation puis l’adoption, somme toute assez rapide, par l’Ouest de cette religion -35-, l'imaginaire occidental concernant le Tibet étant empreint de représentations positives (l’idée selon laquelle le Tibet abrite des maîtres réalisés pouvant sauver l’Occident est répandue chez les fidèles ; une supériorité spirituelle est alors attribuée aux Tibétains).
Yves Lacoste rappelait qu’un exode implique « qu’il y ait la possibilité de s’implanter ailleurs, et surtout qu’une notable partie du groupe expulsé ait les capacités d’adaptation, les types d’activités et les contacts qui lui permettront de s’insérer, de façon plus ou moins dispersée, parmi des sociétés différentes -36- ». La défense de la cause tibétaine, qui a eu un impact dans de nombreux pays, illustre les capacités d’adaptation du Dalaï-Lama et du gouvernement tibétain en exil dans l’habileté à utiliser les communications modernes mais aussi dans la mobilisation d’organisations
internationales aboutissant à la création d’une « communauté affective transnationale -37- » de sensibilités diverses, largement sympathisante bouddhiste -38-.

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30 Un centre est juridiquement une association régie par la loi de 1901 ou celle de 1905. Pour les comptabiliser, j’ai utilisé le Guide des centres bouddhistes en France de P. Ronce (1998), les Journaux officiels, les sites internet des centres et mes observations. Je n'ai pris en compte ni les Dom Tom ni la Corse.
31 J’emploie le terme « bouddhisme tibétain » même s'il est impropre car impliquant une imbrication étroite entre le Tibet et une forme de bouddhisme particulier. Le bouddhisme himalayen se pratique au Bhoutan, en Inde du Nord, au Ladakh, en Mongolie et au Népal.
32 M. C. Goldstein. A Historçv of Modem Tibet, 1913-1951 : The Demise of the Lamaist Slate, Berkeley University ofCalifomia Press, 1989, p. 825.
33 « La politique religieuse de la Chine au Tibet », Revue d'études comparatives Est-Ouest, 2001, vol. 32 n°1, p. 53.
34 James Hilton inventa ce lieu mystique en 1933 pour son roman Horizons Perdus.
35 P. Bishop, « Not only a Shangrila », in Imagining Tibet, op.cit., p. 204.
36 Y. Lacoste, « Géopolitique des diasporas », Hérodote, 2° trimestre 1989, n°53, p. 9.
37 A. Appadurai, Le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Payot, Paris, 2001.
38 Beaucoup de défenseurs de la cause tibétaine sont d’anciens maoïstes, d'anti-communistes, de sympathisants pour la lutte des peuples opprimés, etc.

page 16
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Lama Kunzang a été arrêté à son domicile. Les attaques à son égard vont de l'enrichissement personnel* aux abus sur mineurs. Comme me le dira Paul (cinquante-huit ans), ayant vécu pendant plus de vingt ans à Nyima Dzong, Lama Kunzang a eu tout le panel des attaques possibles et imaginables, et ceci était essentiellement dû à d'anciens fidèles, qui, à cause de problèmes de couple et d'éducation des enfants se sont retournés contre le lama. Lama Kunzang était le seul maître dans son organisation, c'est « lui qui donnait les ordres » me dira Paul, qui souligne « le lama m'a tout donné pendant vingt-cinq ans ». Lama Kunzang n'habitait pas sur le centre, il vivait avec sa femme et ses enfants. Lorsqu'il s'est fait arrêter, le CEC a été perquisitionné. En effet, L. Kunzang avait publié une revue trilingue Adarshadatant de 1996) avec un texte précisant que « sans l'aide de Tulkou Péma, le centre OKC n'aurait pas pu voir le jour ni croître ». L'association CEC a tout de suite répondu par la négative, ce qui aurait irrité L. Kunzang. Un des responsables du CEC m'a dit que Lama Kunzang n'a jamais fait de retraite de trois ans et n'a jamais reçu le titre de lama de Kangyour Rinpoché. Il s'agit pour lui d'un « gourou autoproclamé » qui a « créé des centres avec de l'argent ». Ayant bien connu Lama Kunzang, mais n'étant jamais allé à Nyima Dzong, ce responsable est attristé : « Des gens intelligents ayant fait des retraites à Chanteloube sont partis suivre Lama Kunzang. Les gens sont naïfs, ils ont besoin de guides, de réponses, de structures, de hiérarchies. On remplace une sujétion par une autre. Or le dharma, ce n'est pas cela ». Une certaine orthodoxie religieuse justifie ou non les maîtres et disciples authentiques et ceux qui n'en sont pas. Des raisons plus pragmatiques participent à la revendication d'une orthodoxie religieuse qui est rarement le fait d'aspects purement religieux. Lorsque j'ai demandé au responsable du CEC pourquoi les autorités tibétaines, si elles étaient convaincues qu'il s'agissait là d'un imposteur n'ont jamais réagis, ce dernier me dit alors : « De quel droit et au nom de quoi les devraient intervenir ? Les Tibétains ne sont pas mieux, il faut voir le nombre de jeunes tibétains qui abusent de leur statut... ». Selon lui : « Les maîtres n'interviennent pas pour ne pas couper les gens du vrai dharma. Ils mettent l'accent sur la responsabilité individuelle. Ce n'est pas leur rôle d'interdire ou de critiquer telle ou telle personne. C'est à chacun de tester les qualités du maître ».
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*Le château de Castellane avait été mis à la disposition de la communauté qui n'avait pas les moyens de l'acheter. C'est en vendant un autre château dont l'association était propriétaire qu'elle a eu la capacité financière d'acheter le « Château des Soleils » au L. Kunzang. La somme de la vente apparaît contestable soulignant que L. Kunzang a réalisé un bénéfice non négligeable. Les sociétés commerciales de l'association sont détenues à 80% par sa femme et 20% par les fidèles du centre, ce qui a été également un sujet de plainte.
p. 280
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Le subjectivisme et le relativisme sont prégnants à Karma Ling, accompagnés d'une « morale du don de soi qui est exagérément amplifiée » avec un impératif d'obéissance exalté. Ayant rencontré des personnes qui ont été résidents quelques mois ou plusieurs années, la subordination au maître est effectivement un point clef dans l'organisation, et toute critique est considérée comme venant de l'ego du disciple ; l'autorité du maître a du mal à être discutée et remise en cause (caractéristique de la majorité des centres où j'ai pu me rendre). Dans une Lettre du Sangha Rimay, Lama Denys annonce qu'il prend sa « retraite » :
« Je pars ainsi en retraite, quittant toutes responsabilités administratives et organisationnelles, pour me consacrer à la transmission, aux enseignements, retraites, traductions et publications. Je resterai néanmoins pleinement présent comme le Lama Rimpotché du Sangha ; l'inspirateur de sa vision (via le Ganchi de la Congrégation-Bureau du Rimpotché) ; de sa contemplation (via les orientations dans le Dharma) et ses actions (via les Ganchis des Dharma Lings et leurs différents projets). Depuis longtemps déjà, je ne suis plus responsable du fonctionnement de l'institut. Désormais, je n'y habiterai plus non plus, coupant ainsi définitivement avec mon image de directeur du centre. Ceci correspond à une évolution de fond (engagée de longue date) dans la vie et la santé naturelle d'une passation de larges responsabilités à mes disciples aînés. Je souhaite, par mon départ physique, faire un geste symbolique encourageant les personnes concernées à prendre leurs pleines responsabilités, et leur offrir pour cela tout l'espace nécessaire ».
On remarque bien le paradoxe entre une volonté affichée de donner de l'autonomie aux différents disciples aînés, et en même temps, l'insistance sur le poids de sa présence constante à travers toutes les activités de l'Institut. L'autonomie est demandée en même temps que la subordination au maître. Ce qui renvoie aux conclusions de Mazenq sur les « techniques de management » telles qu'elles sont élaborées à Karma Ling : elles délivrent un « message contradictoire de double contrainte ». « On exige l'autonomie de l'acteur et en même temps la soumission consentie au maître spirituel, ce qui amplifie les effets de l'aliénation et paralyse l'action ». Les orientations prises et postulées par Lama Denys se doivent donc d'être relayées par ses proches disciples pour être efficientes et durables, ce qui n'est pas toujours les cas, d'où des départs, parfois anticipés.
En sortant du cadre de l'organisation interne de la congrégation dirigée par Lama Denys, le formidable éclectisme qui se donne à voir dans les programmes de ses centres témoigne d'un syncrétisme pouvant être considéré comme stratégique, dépassant les seules préférences personnelles.
Un syncrétisme stratégique ?
Voici une confidence d'un enseignant bouddhiste ayant bien connu Lama Denys :
« Lama Denys a le bras long et il est particulièrement malin : c'est simple, il prend tous les trucs à la mode ; chamanisme, enseignements Shambhala, Ban, et tous les enseignements new-age susceptibles d'appâter le poisson. Et puis, si un jour le bouddhisme ne mord plus, qu'il n'est plus à la mode, il aura toujours ses chamans et ses Indiens pour séduire une clientèle. »
Cette remarque critique n'a pas été la seule à l'égard de ce que certains regardent comme un « syncrétisme douteux ». L'activité de Lama Denys qui se déploie selon le slogan « Unité dans la Diversité » et le paradigme d'une « uni-multidiversité d'éveil » lui permet d'ouvrir son centre à une multitude de dialogues, d'échanges et de partenariats divers, drainant une foule considérable, ce qui semble-t-il, agace certains et en rend d'autres envieux.
p. 263 et 264
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Lama Denys, dont le nom a subi d'importantes modifications (de Denis Esseyric à Lama Denis Teundroup ; Lama Denys Teundroup ; Vajracharya Lama Denys, puis enfin, Lama Denys Rinpoché) est un acteur incontournable de l'occidentalisation du Vajrayana en France (mais aussi en Europe). Notons qu'il est le seul lama français à la tête d'une congrégation à porter le titre de Rinpoché. Ce titre a engendré bien des critiques et des plaisanteries de la part d'autres lamas Kagyü et de pratiquants de diverses lignées. Je cite : « Il s'est autoproclamé Rinpoché, après Vajracharya, pourquoi pas ! », « Son ego n'a pas de limites », « Ce mec est complètement dingue, il ferait un malheur aux U.S. ». Les critiques allant bon train, peu des détracteurs rencontrés avaient connaissance de l'origine de l'attribution de ce titre. Lorsque j'ai demandé au principal intéressé, lors d'un entretien dans son centre parisien, pourquoi il avait décidé de porter ce titre (soulignant par là que je savais déjà que personne ne le lui avait attribué), il y eut un léger silence et il m'a répondu tout d'abord que « Rinpoché n'est pas un titre mais un terme d'adresse, ce qui est différent », et que ce terme était traditionnellement utilisé au Tibet pour désigner les supérieurs des monastères. En tant que supérieur d'une congrégation, il m'indiqua qu'on lui a suggéré depuis un certain temps de porter ce terme. Il m'explique aussi qu'il existe d'autres lamas à Karma Ling, et que, pour pouvoir se différencier, il a décidé de porter ce « terme d'adresse ». Il souligne également en avoir averti Situ Rinpoché (régent Karma-Kagyü) qui ne s'y est pas opposé. Cependant, il insiste sur le fait qu'il est le seul responsable spirituel dans son organisation. Il n'a pas de « comptes à rendre » et il n'est pas « inféodé », selon ses propres termes, à l'autorité tibétaine.

Lors de ma première rencontre avec lui au Dharma Ling de Paris, son secrétaire, dans un courriel m'annonçant l'heure et la date du rendez-vous, m'a également demandé : « Merci aussi de bien vouloir m'indiquer - ou me répéter - votre université, niveau d'études, directeur et sujet de travail, avant demain* ». M'étant exécutée, l'entrevue avec Lama Denys s'est déroulée autour d'une tasse de thé ou nous avons d'abord parlé de mes pérégrinations en milieu bouddhiste français. Il me dit d'entrée et d'un ton amusé que j'avais certainement vu « de tout », notamment des « disneylands tibétains et bhoutanais ». Après notre entretien, il m'a invitée à monter dans son appartement privé (à l'étage) et m'a présenté certains ouvrages sur lesquels ses disciples travaillaient puis également une lettre de l'association « L'Acacia et le Lotus » (lettre de l'association de bouddhistes et de francs-maçons), objet d'une réunion à laquelle j'ai pu assister par la suite. Au cours de celle-ci, Lama Denys s'est montré intransigeant, à la fois moqueur et arrogant avec ses interlocuteurs...
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* Courriel personnel. C'est la seule fois où on m'a demandé de décliner si formellement mon projet de recherche et son cadre universitaire afin de pouvoir m'entretenir avec un maître.
p. 259et 260
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Les avis concernant la validité d'un tel principe en Occident sont divergents mais ils ne sont pas réductibles à l'adaptabilité aux valeurs des sociétés occidentales prônée par certains maîtres ; des maîtres occidentaux souhaitent l'adaptation totale du dharma au contexte occidental en maintenant ce système alors que d'autres, qui le critiquent fermement, le rejettent. Les lamas tibétains rencontrés souhaitent tous voir perpétuer ce système qu'ils considèrent fondamental dans leur tradition. Certains Européens sont plus réservés, parfois critiques, par rapport aux tülkou qu'ils pensent être une « déviation culturelle » alors que d'autres souhaitent, à l'instar des lamas tibétains rencontrés, le voir perdurer. On peut penser que certains maîtres occidentaux rejettent ce système parce qu'ils n'ont pas les clefs pour le contrôler, le légitimer et la capacité à reconnaître des tülkou. Les propos de deux lamas français, ceux d'un lama de Dhagpo Kagyu Ling et ceux de Lama Denys, illustrent bien ces différentes opinions.
« Le système des tülkou est important à préserver. Ce n'est pas quelque chose de culturel. C'est un système qui a été établi par des êtres éveillés et qui garantit l'authenticité de la transmission. C'est un point important. Deuxième point, c'est vrai qu'au Tibet, dès qu'il y a une structure, c'est comme ça, il y a eu des déviations, il y a eu des tulkous politiques. On est d'accord là-dessus. Il ne faut pas faire semblant non plus. » (DKL, 2004)
F. Lenoir a restitué dans sa thèse les propos du Lama Denys, propos qui manifestent le désir d'une prise de distance radicale avec la culture tibétaine. Il affirme que le système des tülkou est une création tibétaine liée à sa culture féodale :
« L'erreur habituelle est la déviation animiste qui consiste à percevoir une continuité individuelle dans la succession de tulkous. Ce n'est pas un enseignement bouddhiste, mais une déformation culturelle qui est néanmoins largement répandue en Orient et au Tibet. Elle est aussi entretenue pour nourrir la dévotion et la motivation des fidèles. Elle est aussi inconsciemment entretenue par les espoirs réincartionnistes de l'ego des pratiquants... » (Lenoir, 1999b : 378)
Cette dernière observation critique la déformation « culturelle » qui perçoit les tülkou comme des renaissances successives d'un même être. Il s'agit d'une prise de distance avec un certain héritage religieux tibétain. Les fidèles sont en grande majorité convaincus de la validité de ce système, même s'ils admettent qu'il a ses « perversités » et ses « manipulations ».
p. 237 et 238
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Selon une idéologie et une rhétorique du karma qui vont être repensées, le chantier (travaux de jardinage, de construction, de décoration, de rénovation, etc.) va être perçu comme un moyen de purifier son karma en accumulant des mérites. J'ai pu, à plusieurs occasions, me rendre compte de cette acceptation de la contrainte (inhérente à toute institution hiérarchique), domination tant symbolique que réelle et sa formulation en aspects positifs — « je purifie mon karma » — par ceux qui la vivent. Cet asservissement (non systématisable) est caractéristique de la majorité des bénévoles que j'ai rencontrés dans les centres Kagyü. Le karma est utilisé pour légitimer les différents statuts, entraînant la pérennité des hiérarchies internes au sangha. Bourdieu écrivait que pour que « l'acte symbolique exerce, sans dépense d'énergie visible, cette sorte d'efficacité magique, il faut qu'un travail préalable, souvent invisible, et en tout cas oublié, refoulé, ait produit, chez ceux qui sont soumis à l'acte d'imposition, d'injonction, les dispositions nécessaires pour qu'ils aient le sentiment d'avoir à obéir sans se poser la question de l'obéissance ». Cette affirmation s'avère pertinente au regard de mes observations.
Le travail bénévole peut être remis en question et critiqué par des bouddhistes de longue date, qui en ont fait l'expérience. Certains se retrouvent dans des situations difficiles n'ayant pas eu d'activité(s) professionnelle(s) rémunérée(s) pendant de nombreuses années et n'ayant pas cotisé, faute de moyens, aux différentes caisses sociales d'assurance, certains s'étant écartés de leur entourage familial et amical à cause de leur engagement bouddhique (alors perçu comme un engagement sectaire). Parfois, ils ont été « instrumentalisés » et « manipulés » selon leurs propres termes. D'autres sont partis du centre car ils n'avaient pas d'autres choix. Dans la quatrième partie, il sera question d'analyser ces rapports d'assujettissement(s) « communautaire(s) » liés à la relation au lama (réelle, supposée ou projetée*) et à ce que je nomme « servitude volontaire » et relation de « vassal à suzerain » ; deux pôles opposés entre lesquels oscillent les relations de la plupart des maîtres et des disciples rencontrés.
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*Plusieurs fidèles se disent disciples de tel ou tel maître alors que ce dernier n'a rien laissé supposer de tel.
p. 233
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Lors d'occasions particulières, comme de la venue de maîtres importants, il est donné un badge à chaque personne et un contrôle est effectué avant l'entrée dans la salle d'enseignement. Même si la majorité des organisations précisent bien que l'argent n'est pas un obstacle et que, si une personne à des difficultés financières, elle est invitée à entrer en contact avec l'accueil du centre, tous ne tiennent pas leur engagement et j'ai rencontré quelques personnes qui n'ont pas pu accéder aux enseignements pour raison financière. J'ai moi-même eu des difficultés financières pour pouvoir participer aux enseignements de certains maîtres, les personnels administratifs n'étant pas toujours arrangeants. Certains m'ont accordé des facilités, d'autres non. Chaque centre a sa politique en matière de paiement, cela dépend des directives données par la (ou les) autorité(s) (maîtres) mais aussi du personnel administratif en poste auprès duquel il est possible ou non d'obtenir des réductions financières. On peut avoir ci-dessous une idée du coût de certains enseignements et retraites encadrés par des et occidentaux. Souvent, le maître qui enseigne requiert la participation complète à la retraite et aux enseignements. Quelquefois, si le centre n'a pas une capacité d'accueil suffisante, des salles, des châteaux et autres domaines sont loués et le prix du séjour augmente d'autant plus.
p. 223
Lors de tournées de dignitaires et hiérarques de diverses lignées, les prix peuvent devenir si élevés que certaines personnes ne peuvent même plus assister à l'enseignement de leur maître, qui, pour certains, vient rarement en France. Entre le prix de la nourriture, parfois excessif au regard de sa qualité et de sa quantité, le logement (souvent sommaire) et l'enseignement, le coût total du séjour s'avère particulièrement coûteux. De plus, il faut faire face aux sollicitations et appels aux dons lors de ces grands rassemblements.
p. 225
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