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Critique de chris49


En ouverture de ses « Carnets », Albert Camus écrit : « l'oeuvre est un aveu, il me faut témoigner. » (Carnets I, mai 1935, La Pléiade, 795).

Dans la préface de l'édition de L'Envers et l'endroit publiée en 1958, Camus fait état de la forme maladroite de son essai, puis dit encore ceci :
« La question de sa valeur littéraire étant réglée, je puis avouer, en effet, que la valeur de témoignage de ce petit livre est, pour moi, considérable. Je dis bien pour moi, car c'est devant moi qu'il témoigne, c'est de moi qu'il exige une fidélité dont je suis seul à connaître la profondeur et les difficultés. Je voudrais essayer de dire pourquoi. »

Je renvoie les lecteurs de l'essai aux très intéressantes critiques déjà publiées sur Babelio, celle de Kielosa en particulier, qui expose assez largement le contenu des cinq chapitres, car j'aimerais pour ma part dire quelques mots à propos de ce « pourquoi ».

La première des raisons pour laquelle cet essai, écrit par un jeune homme de vingt-deux ans, a valeur de témoignage pour Camus, réside dans son caractère d'authentique sincérité. Au philosophe Brice Parain, son aîné, qui prétendait que ce petit livre contenait ce que Camus avait écrit de meilleur, ce denier répond ceci : « Non, il se trompe parce qu'à vingt-deux ans, sauf génie, on sait à peine écrire. Mais je comprends ce que Parain [...] veut dire. Il veut dire, et il a raison, qu'il y a plus de véritable amour dans ces pages maladroites que dans toutes celles qui ont suivi. »

L'autre raison majeure est que pour Camus la source de toute son oeuvre est dans L'Envers et l'Endroit. Cette source, il faut la chercher dans l'enfance même de l'auteur. Malgré la pauvreté, une mère silencieuse, un père disparu dans les premiers mois de sa vie, c'est le sentiment de chaleur et de richesse qui domine. Ce fut un « monde de pauvreté et de lumière », écrit-il, dont le souvenir le préserve encore des dangers qui menacent tout artiste : « le ressentiment et la satisfaction ».
Prémuni des satisfactions vaniteuses liées au métier d'écrivain, il se souvient que les moments de contentement furent toujours pour lui ceux où l'intelligence et l'imagination s'unissaient dans la conception d'une oeuvre, la suite n'étant qu'une « longue peine ».

C'est dans cette vie de pauvreté qu'il a le plus sûrement acquis le véritable sens de la vie, et c'est à partir de celle-ci que Camus, dès cet essai, témoigne de son temps et de la condition humaine. Quant à la lumière, il n'est pas indifférent de prendre le mot au sens figuré, mais il s'agit surtout de la bonne, belle et heureuse lumière de ce pays d'enfance que fut l'Algérie : « en Afrique, la mer et le soleil ne coûtent rien ».
«...je fus placé à mi-distance de la misère et du soleil » écrit-il « La misère m'empêcha de croire que tout est bien sous le soleil et dans l'histoire ; le soleil m'apprit que l'histoire n'est pas tout. »

Sur la vie elle-même, il n'hésite pas à écrire qu'il n'en sait pas plus que ce qui est dit dans L'Envers et l'Endroit, et se rend compte à quel point son intuition première qui lui faisait dire « Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre », était vraie.

Enfin, posant son regard bienveillant sur cette première oeuvre maladroite (c'est Camus qui le dit, ce n'est pas moi, car je puis dire que j'y ai trouvé des pages admirables), et se projetant dans son oeuvre à venir, dont il continue de penser au moment de la rédaction de cette préface qu'elle n'est pas commencée, son rêve, écrit-il, est que cette dernière ressemble à L'envers et l'endroit, que celle-ci mette au centre « l'admirable silence d'une mère et l'effort d'un homme pour retrouver une justice ou un amour qui équilibre ce silence. »

Je laisse à présent les lecteurs découvrir cette oeuvre fondatrice. J'avais souvenir d'une lointaine première lecture. Cette deuxième lecture m'a permis de constater à nouveau combien cette oeuvre est riche en elle-même et fondamentale pour notre connaissance de l'oeuvre de Camus, et ô combien elle est une extraordinaire leçon d'humilité.
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