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Critique de KRYSALINE555


Comment aborder ce monument qu'est « l'Étranger », sans ce sale souvenir de terminale que m'a laissé la lecture obligatoire de « la Peste » ? C'est verbeux « la Peste », plein de descriptions sordides qui m'avaient fortement marquées à l'époque. Alors, j'avoue… lâchement, j'ai biaisé. J'ai commencé prudemment par « les justes » et encouragée par une grande fluidité d'écriture, je me suis enfin attaquée à « l'étranger »… Quel roman étrange, que cet « Étranger » qui bouscule, questionne et déstabilise à la fois. Ça suppose une lecture particulièrement attentive tant les interprétations sur le fond et sa symbolique sont denses.

En préambule je dirai que ce qui me surprend le plus, c'est que personne ne parle (pas lues toutes les critiques c'est vrai !) d' « Existentialisme » alors que ça me semble pourtant être fondamental. L'existentialisme, c'est quoi ? C'est un courant philosophique et littéraire qui considère que l'humain forme l'essence de sa vie par ses propres actions. Celles-ci n'étant pas prédéterminées par des doctrines théologiques, philosophiques ou morales. Être l'unique maitre de ses actes, de son destin et des valeurs qu'il décide d'adopter, c'est l'antithèse de Meursault.

Les thèmes de prédilection des existentialistes sont, L'absurde (là on est en plein dedans puisque « l'étranger » fait partie du « cycle de l'absurde » avec « Caligula » et « le Malentendu »), l'ennui (encore ça), l'engagement (ou le non-engagement), la liberté (de faire un choix) et le néant présentés comme fondamentaux de l'existence humaine (Cf. Wiki). Il est vrai que Camus refuse complètement la définition de Sartre et rejette son appartenance à ce courant de pensées. Cependant, il explore les mêmes thèmes. Futilité de la vie, indifférence de l'univers etc...Alors, on parle bien d'existentialisme « Sartrien » pourquoi ne pourrait-on pas parler alors d'existentialisme « Camusien » ? Ça me semble totalement approprié.

Ensuite me vient une question: Pour « aimer » un livre est-on obligé de s'identifier au personnage principal ? Si possible y trouver un côté sympathique, qui éveille notre empathie à nous lecteur ? Parce que si c'est ça, il y a un vrai problème… Meursault n'est pas sympathique du tout, mais alors pas du tout. Avec cette nonchalance indolente, cette apathie chronique, cet ennui et cette fatigue pathologique finissent par devenir rebutant. Décidément cet anti-héros est désespérément désagréable !

Pour le cadre : nous sommes en Algérie avec une chaleur écrasante, une lumière trop éclatante, une réverbération qui fracture la rétine. Et cette mer qui clapote et qui danse. le tout combiné vous rend à moitié fou. A moitié seulement ? Et Meursault est hypersensible à toutes ces sensations, il est soumis à toutes ces fluctuations environnementales. Donc vous voyez bien qu'il n'est pas indifférent à tout le Meursault, tout juste un grand invalide des sentiments… un spectateur de sa vie à laquelle il ne prend pas une part volontaire. Et ce comportement va lui coûter cher, très cher !

Dans cette première partie, le style épuré jusqu'à l'extrême, l'apparente simplicité de l'histoire sur laquelle je ne vais pas trop m'étendre, rend le roman complètement atone tout comme l'est le personnage. Meursault subit sa vie avec distance et vit l'instant « T » exclusivement au présent. Il constate les évènements qui surviennent de façon factuelle, sans chercher d'explications, sans ébaucher de jugement. Il ne fait aucune interprétation des choses et est étranger aux conventions sociales. Ça n'est même pas un fataliste nihiliste. Il la prend la vie comme elle vient, sans chercher midi à quatorze heure. Et il ne proteste pas, le Meursault, non, il n'est pas compliqué, tout lui convient du moment que ça ne lui cause pas de tracas. Mais en fait c'est une bombe à retardement ce gars-là !!

Dans la deuxième partie, un peu plus « tonique », suite au meurtre, commis de sang-froid par cet être distant (5 coups tirés dont 4 sur la victime déjà morte et à terre) on assiste au jugement en règle par la « Société », via le procès de cet inadapté asocial que personne ne comprend. Il va être érigé en véritable « monstre », un extra-terrestre sans âme, un marginal non-intégré à la société dirait-on de nos jours. Comportement incohérent. Par rapport à quoi ? Aux normes sociétales ? A la bien-pensance ? Au « politiquement correct » ?

Une autre question me turlupine : s'il a tué de sang-froid, dans ce cas comment a-t-il pu commettre cet acte sur une impulsion ? Impossible puisqu'on le dépeint sans aucune sensibilité. Et pourtant le geste de Meursault reste instinctif et primaire. Il tire parce qu'il fait trop chaud, parce que la lame de couteau miroite, parce qu'il est fatigué. Incommodé par ces éléments il tire pour s'en extraire… quoi de plus ahurissant ? Alors, est-il important de qualifier la victime « d'Arabe » ? Sans doute au sens ou l'Arabe est un étranger pour la France colonialiste et vice-versa.

Et même si l'avocat de la défense emploi la première personne du singulier dans son semblant de plaidoirie c'est pour tenter de déplacer l'empathie vers lui. Si son client est un monstre, lui, peut-être pas ? Ou moins… Meursault lui, renonce à se défendre puisqu'il est indifférent à son sort, à lui-même. Il ne cherche pas à échapper à la mécanique judiciaire, se soustraire à la vindicte populaire, éviter l'inévitable… Réfléchir à l'inéluctable est décidément trop fatigant et surtout, pourquoi faire ? Finalement, le tribunal conclura à la préméditation, sous-entendu par ressentiment, ce qui est déjà un sentiment, alors qu'ils s'efforcent de démontrer que Meursault en est dépourvu. Quelle contradiction. C'est Kafkaïen !!

Il va écoper de la peine maximale qui est la mort à cette époque. Réquisitoire contre cette sentence suprême ? Oui forcément puisqu'il souligne que cet homme est jugé sur des apparences et parce qu'il ne rentre pas dans des cases pré-formatées. Un procès de l'absurde par l'absurde avec un tribunal qui se prend pour Dieu….

Tout autre chose : je trouve son attitude proche de la philosophie orientale, indienne ou asiatique qui prône le détachement total du monde par la méditation. La méditation c'est faire le vide en soi. En cela Meursault est « vide »… Et quelque part il atteindra une espèce de « Nirvana » personnel au final puisque son esprit sera libre d'accueillir enfin une explication à sa vie après avoir « exprimé violemment » une colère couvée depuis toujours. Sans espoir, « Il se découvre néanmoins libre, tout comme Sisyphe, de réaliser l'absurdité de sa situation et de parvenir à un état d'acceptation qui le délivre » (source wiki).

Que ce soit un prêtre qui déclenche sa libération est-elle significative ? Pour l'époque certainement. Il relève d'un athéisme farouche qui finalement le transcende. La justice des hommes qui l'ont condamné s'est substituée à la justice de Dieu, pourquoi l'accepterait-il puisque a été jugé celui qui ne jugeait pas? La Comédie humaine dans toute sa splendeur quoi !

Alors, non seulement Meursault se sent « étranger » à lui-même, mais les autres le sont aussi pour lui. Et pour les autres c'est un étranger, un être incompréhensible. Bref, personne ne se comprend. Ne parlerait-on pas d'autisme de nos jours ?

Allons voilà que j'introduis une notion qui n'est pas prise en compte dans ce roman : la responsabilité de ses actes (ou plutôt si juste, responsable de ses actes, de sa vie)… Mais je parle au sens de responsabilité mentale (est-il fou? a-t-il agit sur un moment d'égarement, une bouffée délirante?) Serait-il jugé aujourd'hui différemment qu'hier ? La notion « psychiatrique » serait introduite pas pour irresponsabilité mais pour désordre de conscience. Tuer quelqu'un parce qu'on ne supporte pas le soleil ; parce que celui-ci oblitère son comportement ; être poussé au meurtre par la chaleur et la fatigue relève de la pathologie. Pour échapper au soleil il commet un acte mécanique dépourvu de sens pour lui. Son inconscient aurait-il prémédité l'acte ? Pourquoi ? En même temps cette histoire n'a pas de logique donc pourquoi en chercher une?

Pour finir, je voulais éviter une « redite » avec LA « fameuse » phrase du prologue, quoique malgré tout je ne trouve pas que l'indifférence de Meursault se manifeste vraiment dans cette phrase-là, du moins elle ne me semble pas emblématique. Sa mère est morte (c'est factuel) aujourd'hui ou hier, le télégramme reçu ne le précise pas… Mais bon bref, ça ne change rien et ça ne mine pas notre Meursault pour autant c'est vrai ! Et puis, il ne pleurera pas à l'enterrement, il va même jusqu'à fumer là-bas et en plus se rendre à la plage juste après avec sa nouvelle petite amie!!! Quelle indécence ! Autant d'éléments à charge qui vont faire de lui un coupable « idéal ». D'autant que les amis qui témoigneront en sa faveur ne sont pas tous recommandables !...

Ouf, j'ai écrit tout le mal que je pense en bien de ce livre ! Merci à tous ceux qui auront eu le courage et la patience de lire ce long avis jusqu'à la fin tant cela relève du challenge !!
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