Citations sur 3 fois plus loin (41)
Personne, à moins d'être totalement inconscient ou simple d'esprit, ne s'aventure dans la jungle sans une arme de poing ou un fusil, tant les agressions sont nombreuses. La jeune femme se concentre alors sur ses grosses chaussures couvertes de boue rouge et compte ses pas. C'est encore le meilleur moyen de ne pas se laisser envahir par la peur.
Les émotions ne sont-elles pas le sel de l'existence ? [p. 374]
Le cœur et l'esprit de Nina s'emballent et les fantasmes les plus délirants s'entrechoquent à la porte de sa conscience. Peut-être, oui. Mais si c'était autre chose ? Quelque chose qui se trouve en dehors de la zone délimitée pour la cueillette, dans un endroit dangereux ? Dans cette région reculée du Venezuela, la présence de certaines espèces endémiques, animales et végétales, attire les convoitises.
Depuis son arrivée sur place, Nina projette de réaliser un documentaire sur les dernières tribus sauvages (...) Cela doit faire vingt ans qu'aucune nouvelle ethnie n'a été recensée dans cette immensité mystérieuse, vaste comme l'Europe de l'Ouest.
Plantée devant Sahalé, son sac capitonné contenant appareil photo et caméra numérique en bandoulière, Nina trépigne. Prête à partir, elle attend qu'il achève sa flèche depuis moins d'une minute, mais pour elle, c'est déjà une minute de trop.
— Ce qu'il y a là-bas ne risque pas de disparaître, glisse Sahalé. Mais si le puma que j'ai vu hier nous attaque en chemin, tu apprécieras ce temps que je suis en train de t'emprunter.
(...) elle se laisse glisser le long de la corde, attrapant au passage son panier de récolte. Au pied de l'arbre, son mètre soixante-quinze lui paraît ridicule. Cette partie du plateau d'altitude est le siège de végétaux gigantesques, reliés les uns aux autres par un réseau de lianes et de racines, dont le feuillage et les fleurs sont, pour la plupart, parfaitement méconnus des hommes.
Plutôt que de jouir du présent, Nina a choisi de craindre le futur et d'avaler ses pilules de diazépam quand elle va mal. Elles lui ont été prescrites quinze ans plus tôt, avec la promesse de lendemains radieux. Depuis, elles ne l'ont plus quittée.
Un vent léger fait onduler les feuilles et se balancer l'hévéa. C'est la fin de la saison humide, bientôt, le ciel va laisser filer ses lourds nuages et le soleil jonchera de taches colorées la mousse humide et les fougères en pleine croissance.
Nina songe qu'elle ne changerait de vie pour rien au monde. Huit mois sur douze entre Caracas et la forêt, de rares relations avec les chefs et, surtout, des milliers de kilomètres entre son père et elle, c'est la situation idéale. Pourtant, les yeux fixés sur le tableau mouvant de la jungle, Nina sent l'angoisse étreindre sa poitrine
À ce jour, Nina Scott, Kwanita Arconada et Sahalé Bahamontes sont chargés de recueillir les bourgeons et les jeunes feuilles d'essences endémiques rares ou inconnues, de décrire, de photographier et d'étiqueter les échantillons des nouvelles espèces et de les relier, quand c'est possible, à l'utilisation qu'en ont les tribus indigènes. De leur côté, Aidan et Yahto récoltent des résines destinées à la fabrication de baumes et de produits cosmétiques divers en pratiquant de courtes incisions dans l'écorce. D'ailleurs, Nina peut voir œuvrer le vieux Yanomami, au pied d'un copaïba adulte. Son corps, sec et parcheminé, est recouvert de lignes et de points harmonieusement répartis sur son torse et ses membres, tout comme celui de Sahalé, qui doit se trouver pour l'heure au campement. Sahalé le silencieux, le transperçant, le sage.