Citations sur 3 fois plus loin (41)
Plus bas, à travers l'entrelacs de feuilles et de ramures, la silhouette de Kwanita évolue avec l'agilité d'un singe et la grâce d'une ballerine, une main sur la corde et son panier dans l'autre. (...) Nina se dit qu'elle aurait aimé lui ressembler, mais qu'avec son buste plat et ses cheveux courts, elle a plutôt l'air d'un garçon. La jeune Indienne travaille dans son équipe depuis bientôt quatre ans. C'est elle qui a enseigné à Nina l'art de la traque et de la pêche, privilèges que lui refusait le vieux Yahto, bien trop attaché à ses coutumes.
Quelque part dans cette direction se trouve la frontière colombienne et, au sud, derrière la ligne d'horizon, les millions d'hectares de l'Amazonie brésilienne.
Les larges feuilles de l'arbre à caoutchouc laissent passer au-dessus d'elle une lumière chaude, crue, mélange du blanc du ciel et du vert jaillissant des limbes. Sur sa droite, une large trouée dans la frondaison lui permet d'admirer les taches colorées d'un cuaïma pina lové sur une branche et l'étendue incroyable de la forêt amazonienne au pied du plateau d'altitude où elle travaille depuis des mois.
(...) elle attrape son paquet de Stuyvesant, en retire une cigarette informe avant de s'emplir les poumons avec délice. Dès la première bouffée, le souvenir des menaces paternelles ressurgit, tu ne devrais pas fumer, chérie, ces saloperies vont te faire crever, et Nina grimace en secouant la tête. Non, cette cigarette ne va pas la tuer et puis elle est sûrement déjà morte à cause des havanes qu'il fumait à longueur de journée. En tout cas, ils ne sont pas étrangers à son addiction. Alors, Nina envoie son père au diable et pompe sur sa Stuyvesant qu'elle termine goulûment, accaparée par la beauté des alentours.
Suspendue à trente mètres au-dessus du sol par un astucieux système de poulies, Nina glisse le sécateur dans son étui et achève de boucler les lanières de son sac de ramassage. Lorsqu'elle juge qu'il est correctement fixé à la branche de l'hévéa, la jeune femme agrippe la corde et remonte de quelques mètres en poussant sur ses jambes. Là, une discontinuité du bois forme une niche où, à plusieurs reprises déjà, elle a trouvé refuge. Elle partage cette cachette avec un rabipelado , dont seul le museau pointu dépasse d'un amas de feuilles en décomposition. Tout en veillant à ne pas déranger l'animal qui l'observe d'un œil oblique, elle s'installe confortablement, retire son casque, le mousqueton de son baudrier et, d'un geste, repousse les mèches de cheveux collées à son front.
« Aidan Lassiter à Nina Scott. Rallier camp de base d'urgence. Code rouge, code rouge ! »
Fou de peur, je me suis élancé en hurlant vers un sentier dont la forte déclivité m'a emporté. Je me souviens avoir glissé longtemps sur cette terre grasse et détrempée. Jusqu'à ce qu'un grand vide me happe et que les eaux obscures de l'Orénoque s'entrouvrent pour m'engloutir.
Je me suis mis à courir à petites foulées, le corps fouetté par les fougères et les lianes. Les arbres gigantesques défilaient sur les côtés, encore faiblement éclairés par les brasiers, qui s'éloignaient. Ensuite, ce fut le noir total de la forêt continent. Partout, des cris d'animaux retentissaient. Il m'a alors semblé distinguer des centaines de paires d'yeux entre les feuilles.
'ai fait demi-tour et me suis retrouvé face à la béance obscure de la forêt, illuminée çà et là de reflets rouge et or. À moins de dix mètres, un mur de pierres entassées dessinait une ouverture où j'ai vu la silhouette tapie d'un enfant. Deux billes à l'éclat malheureux brillaient à un mètre du sol. Je ne me serais jamais cru capable de ça. Et pourtant… Un premier pas a annulé tout remords. Puis un autre, plus long, m'a permis de tourner le dos au désespoir et à l'abomination.
C'est la peur qui m'a donné la force d'avancer.