Citations sur Alger sans Mozart (71)
Comme tous les Algériens, il avait pour la puissance coloniale des sentiments partagés : il oscillait entre haine et admiration, attirance et rejet. La France avait écrasé les siens et inculqué aux autochtones un profond sentiment d'infériorité, le fameux complexe du colonisé qui tortura des générations de musulmans.
Comment aimer une nation tortionnaire? Comment haïr le pays des Lumières ?
Debussy, Manet, Renoir, Rousseau, Voltaire, Molière et Camus ne rachetaient-ils pas toutes les avanies?
Après l'indépendance, certains Algériens eurent une telle rancœur qu'ils refusèrent d'assumer leur schizophrénie. Ils tentèrent d'extirper tout ce qui rappelait la présence française et sa créativité, allant jusqu'à amputer les seins des cariatides sur les immeubles du front de mer d'Alger.
Le Kader des années cinquante n'était pas extrémiste. Il voulait s'affranchir de la pauvreté par tous les moyens, l'autodétermination en était un. Dans sa stratégie, j'étais un élément important: l'indépendance était lointaine et chimérique, mon amour lui ouvrait les portes de la citadelle coloniale.
De cette ambivalence, je n'avais pas conscience.
Je souffrais du complexe du colonisateur et voulais racheter l'honneur des miens. Il n'avait, m'assurait-il, aucune activité terroriste. Il collectait des médicaments, des pansements pour le maquis, il me demanda de l'aider. J'emplissais mon sac de plage d'alcool, de pénicilline, de coton, de gaze et partais livrer ma cargaison aux quatre coins d'Alger.
Kader prit ma main et me guida vers la lumière.
Nous marchions dans les rues d'Alger sous les regards inquisiteurs: une Française habillée à la dernière mode et un Arabe déguenillé, pantalon trop court, chaussures éculées. Incongru.
Il n'avait pas d'argent et refusait que je paye pour lui dans les cafés, alors nous discutions des heures entières sur les bancs publics. Je découvrais l'autre Algérie, celle des gueux et des exclus. Il avait des paroles très dures sur la colonisation, ce mal absolu.
- Mais, Kader, regarde cette ville, ces immeubles, les gares, les aéroports.
- Vous en profitez, pas nous ! Vous avez pris nos meilleures terres, confisqué nos richesses, vous nous avez massacrés, relégués...
- Je n'ai rien fait, Kader, je ne suis pas responsable des exactions de mes ancêtres, c'est le cours de l'histoire.
- Justement, il faut le changer!
- Avec des fusils et des bombes ? En assassinant des innocents ?
- Quel autre choix ? Vous ne comprenez que la force. Une Algérie libérée avec les mêmes droits pour tous, voilà ce que nous voulons construire.
- Nous?
Il m'avoua son appartenance au FLN.
Les souvenirs sont des tableaux accrochés sans ordre ni raison sur les murs lézardés de la mémoire. Ils surgissent juxtaposés et peuplent le vide de nos vies presque achevées.
La tragédie de ma vie s’est jouée dans un décor somptueux. Une ville si blanche qu’elle éblouit dans le soleil, si blanche qu’elle brûle les yeux de ses murs immaculés en procession immobile vers la mer, si blanche qu’elle boit, les jours de pluie, tout le ciel et sa lumière.
L’Algérie s'éloignait avec Kader, Alger perdait sa blancheur, Alger se maculait de rouge.
Le jeune homme sensuel et brun qui, chaque jour, s'asseyait prés de moi n'était plus là. Il ne racontait plus l'autre terre, celle qui vivait prés de nous, dans notre indifférence. J'avais la nostalgie sans l’exil.
" Imagine there's no heaven...."
Imagine, ce mot a guidé toute ma vie.
Incapable de m'ancrer dans le réel, j'invente des histoires, je crée des images, j'imagine....
Algérie... jamais ils n'avaient entendu ce nom.
l’Afrique?
Ils frémissent: lions, tigres, éléphants, nègres agressifs sagaies à bout de bras s'agitaient dans leurs tête. " Mais non" expliqua un bon Lorrain en partance pour Alger, " ce n'est pas du tout ça!"
Il décrivit les maisons blanches, les coupoles, les collines bleutées, les arbres couverts de fruits incroyables, la lumière éblouissant et les terres en Friche qui ne demandaient qu'à produire.
La France, grande et généreuse, en faisait don.
la tragédie de ma vie s'est jouée dans un décor somptueux. Une ville si blanche qu'elle éblouit dans le soleil,si blanche qu'elle brûle les yeux de mes murs immaculés en procession immobile vers la mer, si blanche qu'elle boit, les jours de pluie, tout le ciel et sa lumière.
des montagnes au loin encerclent la baie et ses collines, bleu sombre au printemps, enneigées l'hivers, obscurcies par les incendies d'été, elles sont frontières; au-delà, le bled: terres arabes ou berbères, étendue hostiles et meurtrières.
la mer, autre frontière, enchâssée dans une baie en cercle parfait, s'évanouit loin vers le nord. tout les jours je guette les bateaux qui nous lient à Marseille, à cette France étrangère et lointaine à ce pays qui s’éloigne chaque jour un peu plus, oubliant qu'autrefois son cœur battait ici .
«L'éphémère n'est là que pour contraindre les créateurs à l'immortalité . Les cinéastes, les peintres ou les romanciers sont des archivistes. Ils s'emparent du temps qui passe et le fixent sur la pellicule, la toile ou le papier, ils lui donnent un brin d'immortalité» (p 274).
mais patience est taduction approximative du mot arab sabar qui signifie tout à la fois patience et résignation