Un après midi au café Museum, nous venions de nous saluer et de prendre place. SONNE me dit sans aucun préambule, sans détours ni excuses qu'il avait lu le roman et me demanda si je désirais savoir ce qu'il en pensait. Puis il m'en parla pendant deux heures : ce jour là, il ne fut question de rien d autre.
Il m'éclaira sur mon roman et y décela des rapports dont je ne m'étais jamais douté. Il le traita comme un livre qui existe depuis longtemps et continuera d'exister. Il m'expliqua d'où il venait et me montra où il conduirait nécessairement. S'il s'était contenté de généralités élogieuses, je me serais réjoui, après ces cinq semaines de doutes, du sérieux de ses éloges , mais il fit beaucoup plus: il entra dans le détail des choses que j'avais écrites mais non justifiées et m'expliqua pourquoi elles étaient justes et ne pouvaient être différentes.
Il parla comme s'il partait en voyage de découverte et me prit avec lui. Il m'instruisit sur mon livre comme si j'étais un autre et non l'auteur; ce qu' il révélait à mes yeux était si stupéfiant que j'aurais eu peine à le reconnaître pour mien. J'étais déjà bien assez surpris qu'il se souvint des moindres détails comme s'il se fût agi d 'un texte ancien qu'il eût commenté devant des élèves. La distance qu'il créait ainsi entre moi même et mon livre était plus grande que celle des quatre années où il avait attendu à l'état de manuscrit dans mes tiroirs. Je vis se développer devant moi une construction chargée de sens , mûrie dans ses éléments les plus intimes, qui impliquait en elle-même sa dignité en même temps que sa justification. J'étais fasciné par chacune de ses remarques qui toutes me prenaient par surprise et n avais qu'un seul désir: qu'il ne s'arrêtât jamais.
Ce ne fut qu'au bout d'un moment que je compris que son discours poursuivait aussi un but: SONNE était conscient que ce livre aurait un destin difficile et il désirait me donner des forces contre les attaques à prévoir.