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Critique de bdelhausse


Belinda Cannone entend nous décrypter la bêtise intelligente. Et bien qu'elle ne définisse pas clairement ce qu'elle entend par là (oh, par là, je n'entends pas grand-chose comme dirait l'humoriste), on peut entrevoir au fil de son essai qu'elle considère les bêtises dites par les gens intelligents. Deux concepts qu'elle ne définit pas davantage.

Elle construit son ouvrage comme une sorte de roman et d'essai. Roman parce que nous avons un trio de personnages (un couple et un ami proche) qui devise et glose gaiement sur les bêtises des autres (incidemment sur les leurs également). Essai parce qu'à force d'aligner les sujets de réflexion, on se situe clairement dans une sorte de démonstration. Hélas, plutôt que de cumuler les avantages des deux genres, on a plutôt les inconvénients. Par exemple, pas de thèse, antithèse, synthèse... On a un discours assez moralisateur, qui détruit tout et son contraire et ne construit rien. Un comble pour un ouvrage sur la bêtise, à moins que Belinda Cannone n'ait voulu prêcher par l'exemple. Auquel cas, c'est fort réussi. Car je ne peux me départir de l'impression que l'autrice se prend les pieds dans le tapis qu'elle déroule gaiement, qu'elle se prend les pièges qu'elle tendait aux autres.

D'ailleurs, qui sont ces "autres"? Gageons que les wokistes, les détracteurs du politiquement correct, les chantres du "y'a qu'à" et leurs opposants trouveront dans cet ouvrage de quoi alimenter leur guéguerre. Car à force de passer à la moulinette toute une série de concepts de société, l'autrice dit tout et son contraire. Peut-être est-ce là la solution face à la bêtise intelligente?

Lieux communs, pourfendage d'idées reçues et préconçues, datant parfois d'un autre temps, déconstruction de clichés éculés, rassemblement de VRP dans une ville de province... on a droit à tout cela. Je me suis revu adolescent boutonneux refaisant le monde affalé sur le skaï d'une banquette imprégnée de fumées de cigarettes dans une taverne liégeoise proclamant "plus de 800 sortes de bières, ouvert 24/24, 7/7" avec l'idée qu'en les testant toutes nous serions plus à même de refaire le monde, et de dire encore plus de bêtises (mais avec des circonstances atténuantes, vu que nous serions bourrés). Cela dit, contrairement aux protagonistes du récit de Belinda Cannone, nous avions à coeur de construire ce que nous cassions.

Ici, je ne vois que de la pensée "déconstructive". Rien de formatif (évidemment, car le discours sous-jacent se prétend a-normatif, mais il devient normatif, en ce sens que les protagonistes nous disent à longueur de pages que, eux, ils ont raison). Il est facile de se moquer de tout. Et il y a quelques chapitres qui frappent juste. Mais ils sont finalement fort isolés. Même si les 3 acteurs du récit sont ce qu'ils critiquent, des sots intelligents, on n'atteint pas des sommets de la pensée.

Il faut attendre la page 135 (sur 200) pour voir arriver la notion essentielle du relativisme. Mais cette idée finit par se transformer en individualisme, c-à-d le recours au "moi-moi", relecture de Descartes façon "je pense donc j'ai raison". On passe aussi en revue le politiquement (in)correct, la liberté individuelle (y compris celle de dire des bêtises), la pensée unique (qui semble devoir être celle des 3 acteurs de l'ouvrage...), le conformisme, l'art moderne, l'enseignement... le livre datant de 2007, il manque énormément de thèmes récents, ou de façon récente de traiter les sujets éternels. Pas de MeToo, bien sûr, mais très peu de réflexion sur le féminisme, les violences faites aux femmes, le racisme, la xénophobie, la tolérance... autant de pans de la société où la bêtise intelligente fleurit abondamment, et ce n'est pas Eric Z. qui me contredira (ou plutôt, si, je pense qu'il me contredira, et cela me convient fort bien).

Il est savoureux de considérer la déconstruction dont Belinda Cannone se fait l'avocate. Surtout quand elle aborde le fait d'abonder dans le sens de la majorité pour avoir du soutien pour ses idées. Car c'est précisément ce qu'elle fait. le discours qui consiste à balayer toutes les certitudes a clairement le vent en poupe.

J'ai ce livre depuis sa sortie et j'ai essayé de le lire plus de 10 fois en m'arrêtant très vite, tant j'étais consterné par l'inanité, le flou et la platitude du propos. le travers principal de l'autrice est de tout dichotomiser, de tout "blancnoirifier". Pas de nuance, pas de moyen terme, pas de fluctuance. Les 3 acteurs de l'ouvrage, seuls, ont raison. Je ne suis ni content ni fier d'avoir enfin terminé, à l'arrache, aux forceps, ce livre. Je n'aime pas abandonner un livre. Critiquer un livre sans l'avoir lu intégralement, cela ne me plaît pas. Et cela, c'est sans doute une bêtise intelligente.

Je retiendrai une idée intéressante: obliger un discours à être compréhensible, compris de tous, rejeter les discours abscons faits de jargons, tout en demandant quand même au lecteur de faire un effort. Cet effort mutuel, de la part de celui qui écrit et de celui qui lit mériterait un traitement plus long, approfondi, plutôt que quelques paragraphes vite jetés sur le papier.

Et si on trouve cette critique d'une affligeante bêtise intelligente, je serai, j'en suis sûr, pardonné car il est dit à plusieurs reprises dans l'ouvrage qu'énoncer des bêtises intelligentes nourrissait la pensée et permettait d'avancer.
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