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Critique de Arimbo


Il y a bien longtemps que je voulais lire ce livre qui était un peu pour moi une énigme car je n'avais aucune notion de l'intrigue de ce roman considéré comme une dystopie majeure du 20ème siècle mais en même temps, je pense, bien moins connu que 1984 d'Orwell ou Nous de Zamiatine.

Eh, bien, voilà un texte époustouflant, complètement original, unique, incomparable, il n'y a qu'aux romans de Vonnegut que j'y trouve une certaine parenté.

De ce fait, il y a tant de choses à dire sur ce livre, il est d'une telle richesse, il inspire tant de réflexions en même tant qu'il est plein des parodies, vraiment c'est difficile de le commenter et de savoir par quoi commencer. Et ce d'autant que, je viens de le constater, une foule de belles critiques ont été faites sur Babelio, notamment celle de mon « amie » babeliote Marie-Hélène alias MH17.

Dans sa préface Capek nous éclaire un peu, et avec pas mal de malice, sur son projet littéraire. Pour lui c'est plutôt une fable (et non une utopie que nous appellerions maintenant dystopie) dont l'idée lui est venue dans le contexte des menaces constituées par « la crise économique, l'expansion nationale et la guerre prochaine » (on est en 1936). Il s'agit de celle ci: « ne pensez pas que l'évolution qui a abouti à notre vie soit la seule possibilité d'évolution sur cette planète » Et ce seront des salamandres un peu spéciales, dont les fossiles ont été pris au départ pour ceux d'êtres humains. Et la seconde idée qui va faire de ce livre génial, un livre intemporel: « si une espèce animale autre que l'homme avait atteint ce niveau que nous appelons civilisation, aurait-elle commis les mêmes absurdités que le genre humain ? Aurait-elle fait les mêmes guerres ? ». Et donc, il insiste aussi sur le fait que c'est aussi une fable sur les humains. « J'ai écrit mes « Salamandres » parce que c'était aux hommes que je pensais » Et, dans notre humanité qui commence à réaliser qu'elle a pris trop de place sur la planète au point qu'elle est en train de la détruire, c'est d'une formidable actualité.

Ça commence plutôt comme une fable satirique et burlesque, parfois complètement désopilante, et ça se termine de façon grinçante et profonde.

La première partie du livre est faite d'épisodes plus ou moins loufoques qui accompagnent la découverte de ces salamandres. Un vieux marin tchèque, qui s'est pris un nom hollandais, van Toch (pour faire plus sérieux!), est à la recherche de perles quelque part dans une île près de Sumatra. Dans la Baie du Diable, il rencontre des salamandres d'une relative grande taille, « celle d'un enfant de 10 ans », avec lesquelles un dialogue et une coopération va s'installer. Suivent: un épisode désopilant dans lequel une starlette rencontre les salamandres, un autre jubilatoire qui relate sur le mode parodique les données « scientifiques » sur l' espèce Andrias Scheuchzeri que l'on croyait disparue et que l'on vient de redécouvrir, encore un autre qui raconte les relations entre un gardien du zoo de Londres et un spécimen d'Andrias Scheuchzeri, d'une drôlerie incroyable. Et pour finir encore un « appendice » sur la vie sexuelle des salamandres, parodie d'exposé scientifique.
Mais entre ces chapitres bien comiques, se glisse un autre qui va déclencher toute la suite de l'intrigue. C'est la rencontre entre le Capitaine van Toch et un magnat des finances G.H. Bondy. Ce dernier va tout de suite comprendre l'intérêt de l'exploitation des salamandres du genre Andrias Scheuzeri, ce qui va donner lieu à la deuxième partie qui elle-même entraînera la troisième.

Là encore, sur le mode burlesque, l'auteur va décrire « l'esclavage » de cette espèce endormie redevenue d'une fécondité extraordinaire, exponentielle, et dont les capacités de bâtisseuses sous-marines et d'organisation vont être utilisées partout dans le monde pour construire des ports, des tunnels, etc..
Là encore, il faut lire le détournement des jargons économiques, financiers, ceux des politiques, journalistes, et enfin le ridicule des débats scientifiques (un compte-rendu hilarant d'un congrès où ces sommités s'opposent!). Et puis, l'auteur décrit les mouvements qui apparaissent pour lutter contre l'exploitation des salamandres, etc…

Mais, l'expansion exponentielle des salamandres va conduire à la guerre avec les humains, et à une situation cataclysmique, je n'en dis pas plus.

A la fin, un épilogue formidable, dans lequel l'auteur est interpellé par sa conscience, nous invite, sur le mode de l'ironie, de la dérision, à une réflexion pessimiste, par delà les salamandres, aux travers terribles de notre humanité, ses guerres absurdes, son expansion déraisonnable.

Oui, car, en définitive, « La guerre des salamandres », c'est une satire impitoyable contre tous les niveaux de la folie et de la bêtise humaine. Et d'une incroyable actualité. Quelle est l'espèce qui par son expansion effrénée, son utilisation insensée des ressources terrestres, est en train de détruire la planète? Pourquoi ces guerres inter-ethniques, ces visées impérialistes absurdes d'un Poutine? Et cette exploitation sauvage des humains, y compris des enfants, dans les pays du Tiers-Monde?
Capek appuie là où ça fait mal, et nous fait réaliser toute l'absurdité de la logique humaine.

Je voyais récemment à l'émission La Grande Librairie, Salman Rushdie conversant avec Leila Slimani et Kamel Daoud à propos de son dernier livre le couteau, et notamment insistant tous les trois sur l'importance de la fiction et du rire pour éclairer l'esprit des humains. C'est ce que nous montre admirablement Karel Capek. Est-ce que la littérature sauvera le monde? « Je n'en sais pas plus long » nous dirait l'auteur dans la dernière phrase de ce livre.
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