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EAN : 9782501008211
Marabout (01/01/1993)
4.16/5   253 notes
Résumé :
Lorsque Jan van Toch, capitaine de navire hollandais, découvre, à l’ouest de Sumatra, une espèce de salamandre douée d’une certaine forme d’intelligence et susceptible de l’aider dans l’exploitation des perles, il est loin d’imaginer que cette découverte sera à l’origine d’un bouleversement complet de l’ordre mondial. Et pourtant…
Publié en 1936, lors de la montée du national-socialisme et du stalinisme, La guerre des salamandres brosse, avec un regard plein... >Voir plus
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Karel Čapek (1890-1938) a écrit cette fable extraordinaire en 1935 dans un contexte particulièrement menaçant. Ce livre est considéré comme un chef-d'oeuvre satirique dystopique, d'actualité (à l'époque) prémonitoire (maintenant) et diablement intemporel. Tchèque et universel. le livre raconte la découverte (Livre I), l'exploitation des salamandres, leur prise de pouvoir totalitaire (Livre II) et enfin la guerre qui s'en suit contre les hommes (livre III). Il se termine, en guise de morale, par un dialogue entre l'auteur et sa conscience.
C'est un livre dense et protéiforme, plein de détails amusants et de parodies féroces.

Livre I
Le roman de Čapek débute comme un récit d'aventures maritime. Un narrateur anonyme raconte comment le capitaine J. van Toch, un vieux loup de mer tchèque qui se fait passer pour hollandais a amarré au large d'une île isolée de l'océan Indien, à la recherche de perles. Son équipe de plongeurs cinghalais refuse de chasser des perles dans la Baie du Diable car on y rencontre des créatures noires de plus d'un mètre de longueur. le capitaine van Toch découvre bientôt que ces créatures diaboliques sont plutôt dociles, amicales et très intelligentes. Et puis qu'elles raffolent des huîtres. Mais elles ont bien du mal à les ouvrir avec leurs petites griffes. Alors ce bon Capitaine a une fameuse idée. Il leur donne de petits couteaux en échange de perles. Il leur apprend aussi à parler et puis bientôt les équipe de harpons pour éloigner les requins, leurs seuls et uniques ennemis naturels. Alors qu'il est en congé dans sa Tchécoslovaquie natale , le capitaine van Toch est interviewé par deux journalistes désespérés en quête de scoop. Ils lui suggèrent de rechercher un soutien financier pour l'achat de son propre bateau auprès d'un Tchèque nommé GH Bondy basé à Amsterdam. Celui-ci est un « capitaine d'industrie » que van Toch a bien connu dans son enfance et qu'il intimidait alors en raison de ses origines juives. Quelques années après cette rencontre fatale, la population des salamandres explose et GH Bondy à la tête du « Syndicat des salamandres », annonce son programme dans un discours exalté : il exploitera impitoyablement les salamandres géantes, les élèvera et les vendra comme esclaves. Les salamandres seront désormais utilisées pour construire des sous-marins et entraînées pour protéger les rivages des pays qui les auront achetées.

« Messieurs, c'est avec regret que je conclus le chapitre qu'il me sera permis d'appeler vantochien ; nous y avons dépensé ce qu'il y avait en nous-mêmes d'enfantin et d'aventureux. Il est temps de quitter ce conte de fées avec ses perles et ses coraux. Sindbad est mort, Messieurs. La question se pose : que faire à présent ?"
Appendice : la vie sexuelle des salamandres


Livre II
Nous faisons connaissance avec Povondra le très fier portier tchèque de Bondy. C'est lui qui a introduit le vulgaire van Toch chez Monsieur Bondy. Depuis Povondra a décidé de collectionner tout ce qui se rapporte aux salamandres. C'est par le biais d'articles qu'il a soigneusement archivés que nous apprenons l'évolution des créatures. Les parodies s'enchainent, de plus en plus terribles et toujours très ludiques. Austères compte rendus scientifiques, controverses universitaires, procès verbaux de conseils d'administration, articles de journaux sérieux ou manchettes à sensation du monde entier. Ces articles sont parodiés avec un souci du détail époustouflant y compris dans le graphisme et la calligraphie. Ils sont aussi entrelardés de slogans publicitaires désopilants. Journalistes, hommes politiques, scientifiques s'expriment et en prennent pour leur grade. Ces experts vaniteux persuadés d'avoir raison ont en commun d'être instruits et de s'adresser aux masses. On plaint d'abord ces pauvres petites créatures exploitées avant de prendre conscience que nous sommes nous aussi piégés et manipulés.

« -Justement, grommela M. Povondra inquiet. Une fois qu'elles se mettront à se défendre, ces saletés, ça ira mal. C'est la première fois qu ‘elles font ça...Bon sang, ça ne me plaît pas. Povondra eut une hésitation.
-Je ne sais pas...mais peut-être je n'aurais tout de même pas dû le faire entrer chez M.Bondy, ce capitaine. »

Livre III
Les salamandres, devenues trop nombreuses sont désormais menées par un chef (le Chief Salamander) et attaquent les littoraux humains pour les transformer en prairie marine : la guerre entre les deux races a commencé. Chaque puissance petite ou grande a une solution. Français, Anglais, Allemands, tout ce beau monde passe à la moulinette. Dans le chapitre der Nordmolch, l'auteur fait de la salamandre du Nord la plus noble des variétés de l'espèce. Elle a un besoin bien légitime d'espace vital. Deux nouveaux personnages apparaissent, l'auteur et sa conscience. Ils discutent de la situation immédiate et future.
« Et ensuite ?
-Je n'en sais pas plus long. »

Ce livre ludique et stimulant est d'une richesse stupéfiante. Les pistes d'interprétation sont multiples et la fin est ouverte.
Bref à lire et à relire.

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« La guerre des salamandres » témoigne de l'esprit visionnaire de Karel Capek (1890-1938), qui a écrit ce roman dystopique en 1935, trois ans avant le premier viol de la Tchécoslovaquie et trente-trois ans avant le second !
Au même moment, en 1935, « La Guerre des Mondes », de Wells, était publiée depuis déjà longtemps, et Fritz Lang avait tourné « Métropolis ». Georges Orwell n'avait pas encore écrit « Animal Farm » (le détonateur de la guerre d'Espagne ne devant fonctionner qu'un an plus tard).
Karel Capek, lui, avait déjà écrit 48 livres.
« La guerre des salamandres » a été proposé au Prix Nobel de Littérature, sept fois jusqu'en 1938, mais n'a jamais été récompensé, certainement à cause de sa critique trop farouche du national-socialisme.

« La Guerre des Salamandres » est un texte à l'ambiance fantasmagorique, à la lisière de Jules Verne et de la science-fiction. Ce roman dénonce la quête du progrès sans limites dans laquelle l'homme est prêt à sacrifier sa vie et vendre son âme.

Ce roman dystopique raconte tout d'abord la découverte, dans l'Océan Pacifique, de créatures semblables aux salamandres par le capitaine van Toch, un marin de la trempe du capitaine Haddock ! van Toch établit un système d'échange, qui consiste à fournir aux salamandres des couteaux pour tuer les requins qui les déciment. En contrepartie, les salamandres récoltent des perles et les remettent au capitaine van Toch. Celui-ci invite par la suite une riche connaissance, G. H. Bondy, à investir dans le transport des salamandres entre différentes îles, pour récolter encore plus de perles.
Après la mort de van Toch, la compagnie de Bondy abandonne le marché des perles pour vendre les salamandres comme main d'oeuvre. C'est ce que détaille la 2e partie du roman, conçue comme un genre de revue de presse d'articles parus dans le monde entier à propos des salamandres et présentant ces animaux d'un point de vue scientifique, commercial et éthique.

Ces salamandres sont des êtres paisibles et travailleurs. Elles ont beaucoup de savoir-faire, pour bâtir des digues, pour créer de nouveaux continents et Atlantides… mais elles sont surexploitées et asservies par les hommes. Après avoir traité les Salamandres en animaux de cirque, les hommes leur inoculent leurs poisons les plus violents : le nationalisme, l'expansionnisme, le goût des explosifs, et plus grave encore, la croyance aveugle en certaines idéologies.

Mais les salamandres sont intelligentes. Sous les effets pernicieux de la pensée de Karl Marx et des droits qu'on a accordé aux ouvriers, après avoir réussi à se fédérer et à se syndiquer, elles finissent par se révolter, jusqu'à réclamer plus d'espace vital ; c'est ainsi qu'à la fin du livre, elles se mettent à faire sauter la périphérie des continents pour coloniser les nouvelles régions précontinentales ainsi créées. Emportées par leur élan, en grignotant peu à peu l'habitat terrestre, les salamandres découvriront à leur tour l'impérialisme et le nationalisme !
Les humains vont être encouragés à céder eux-mêmes leurs terres, à la demande de Chief Salamandre. Mais ils refusent, ce qui déclenche finalement « la guerre des salamandres », dont différents incidents et batailles sont relatés dans la 3e partie du livre.
Les humains en sortent toujours perdants, et le livre se termine sur un bouleversement complet de l'ordre mondial et sur une vision apocalyptique du monde.
Il y a un témoin de toute cette histoire, du début à la fin.
C'est M. Povondra, le majordome de G.H. Bondy. C'est Capek. Il se décrit lui-même, il analyse sa propre persévérance, sa manie de collectionneur. Avec son fils Frantik, il voit venir la fin d'un monde en pêchant le goujon. Il faut bien lire la pirouette finale !

Dans l'esprit de Karel Capek, les salamandres étaient les Tchèques. Mais elles pourraient aussi bien représenter tous les peuples qu'on veut utiliser comme pions dans la grande politique, et qui un jour finiront par se révolter. Avec ce roman, Karel Capek prévoyait déjà les jours sinistres où les robots à croix gammée marcheraient dans les rues de Prague. (C'est Capek qui a inventé, en 1920, le mot « robot » qui veut dire en tchèque « travailleur » -dans sa célèbre pièce « R.U.R. » = Rossum's Universal Robots, où il décrivait la révolte des robots.)
Karel Capek a été l'objet, la cible, de rafles intellectuelles.
A chaque fois, il s'est échappé avant que le cercle ne se referme. Lorsque les Allemands occupèrent Prague en 1939, le premier Tchèque qu'ils recherchèrent pour l'emmener en camp de concentration, c'était Karel Capek. Il était déjà mort, mais les Allemands arrêtèrent son frère et le tuèrent. Son exécution servirait de compensation car le nom des Capek était pour eux un symbole de la liberté.

Karel Capek a expliqué comment lui est venue l'idée de l'écriture de « La guerre des salamandres ».
Ses réflexions l'ont amené à prendre en compte à la fois la situation mondiale de l'époque, déplorable sur le plan économique et pire encore sur le plan politique, et aussi à penser que dans des conditions biologiques favorables, une civilisation, non moins élevée que la nôtre, aurait pu se développer par exemple dans les profondeurs marines.
Les salamandres sont donc un prétexte pour parler des affaires humaines.

Il y a dans ce livre une grande diversité de formes littéraires : la forme journalistique, des pamphlets, une scène du quotidien… et il y a même un dessin représentant la salamandre fossile Andrias scheuchzeri. Cette oeuvre fourmille de thèmes : réflexion sur le nationalisme, sur le nazisme, sur le totalitarisme, le racisme, l'appât du gain, le capitalisme, la mondialisation économique, sur le monde de la presse, sur le milieu scientifique, sur la langue… et aussi l'écologie, le thème le plus prémonitoire, qui est étonnant pour l'époque de Capek, mais qui aujourd'hui est un thème explosif : quand on exploite à mort la nature, cela fait un effet boomerang et cela nous retombe sur le nez !
Tout cela parle de la finitude de la Terre, et conscientise sur l'avenir de la planète.

Si le message de Capek, déjà alarmiste en 1936, est encore plus pressant en 2021, le ton de l'oeuvre est loin d'être grave. Son discours est plein d'ironie. Il choisit par exemple de rendre les rapports de faux congrès scientifiques et les déclarations politiques extrêmement amusantes et très probables du roman, par des interventions régulières de journalistes, qui invitent des personnalités politiques ou scientifiques pour parler de la problématique des salamandres avec des mots savants, presque clownesques !

Le message que Karel Capek, profondément humaniste, a voulu faire passer en écrivant ce roman est clair : les totalitarismes sont toujours aux aguets du populisme, et la solution c'est la question de l'intérêt général, du discernement et de la non-exploitation de l'homme par l'homme.
Si en 1936, K. Capek n'a pas de vision absolue des camps de concentration, il sait très bien qu'un pouvoir totalitaire est en train d'arriver, que cela est toujours basé sur la famine, la misère, l'exclusion, le rejet de l'autre, le pouvoir qui se nourrit du subalterne et l'affaiblissement de certains au profit de ceux qui détiennent le pouvoir.

Ce livre présente aussi des aspects scientifiques intéressants. Il s'avère que les salamandres ont des similitudes avec les humains, et dans un article de journal scientifique, elles furent appelées Homo-sauriens.
En effet, une molécule, la MicroARN, est commune aux salamandres et aux humains.
Grâce à elle, la régénération des membres est rendue possible. Elle aide à réguler la réparation de tissus articulaires. (Pas étonnant que l'oeuvre de Capek soit parsemée de références médicales, car son père était médecin…)

En dépit de l'ancrage géopolitique du roman dans l'époque à laquelle il a été écrit, celle précédant la 2e guerre mondiale, le message de Karel Capek est donc toujours d'actualité. La Guerre des Salamandres n'est pas un roman moralisateur. Jamais il n'est écrit ou suggéré : « voilà ce qui vous attend », mais on en sort en hurlant de rire, avec, toutefois, les yeux hors de la tête !
C'est un roman où le fantastique, la fantaisie et l'humour côtoient l'horreur et l'actualité politique.
Il est aussi drôle que perturbant.

Capek, c'est un peu Montaigne en Bohème. C'est un écrivain qui sent le soufre, parce qu'il a introduit le doute et la dérision dans la pensée philosophique. En quelque sorte, on peut dire que ce roman est un conte philosophique entre science-fiction et politique-fiction.
Cette histoire de prise de pouvoir totalitaire par des salamandres marines géantes a déjà presque un siècle, mais elle est loin d'être démodée, et sa notoriété a dépassé les frontières !
Ce livre est un vrai chef d'oeuvre dont je ne peux que recommander la lecture !
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Il y a un sentiment d'injustice à constater l'oubli dans lequel est tombé ce roman. On pourrait d'ailleurs en dire autant d'autres textes de la même veine et de la même époque, à commencer par les livres de Jacques Spitz. C'était à l'époque où la science-fiction ou le fantastique n'étaient pas encore constitués en tant que genres littéraires, et moins encore en tant que ghettos. De la production européenne de l'époque, il ne subsiste plus grand chose dans la mémoire collective, hormis peut-être Barjavel quelques années plus tard. C'est ainsi que pour le grand public, le nom de Capek est tout juste cité à propos de l'invention du terme « robot », dans sa pièce de théâtre R.U.R, écrite en 1920.
La Guerre des Salamandres, pourtant, mérite encore amplement d'être lue aujourd'hui : dystopie à la fois loufoque et grinçante, le livre raconte la découverte d'une espèce intelligente de grandes salamandres marines, quelque part au large de Sumatra. le début fait croire à un récit d'aventures au ton léger et distancié. Mais on comprend vite qu'on ne tient là que la plus petite des poupées-gigogne du roman, dont la structure se modifie bientôt en s'élargissant progressivement, l'auteur n'ayant de cesse de déjouer les attentes de son lecteur. Les hommes apprivoisent tout d'abord les salamandres, trouvent bientôt très utile d'en faire une main d'oeuvre sous-marine corvéable à merci, et les exploitent sans vergogne en proclamant leur supposée infériorité. Puis ils comprennent l'étendue de leur erreur, mais il est alors trop tard pour revenir en arrière... Certains chapitres, qui pastichent le ton de l'étude scientifique, du reportage journalistique ou de l'analyse diplomatique sont franchement désopilants. Au terme d'un livre toujours surprenant, le final est si inattendu que l'on se demande s'il relève de la pirouette d'un auteur qui veut arriver au bout de son livre, ou bien si ce n'est pas la conclusion la plus habilement dérangeante qui soit.
Au bout du compte, voilà un livre qui est bien de son époque et qui n'a pas tant vieilli que cela : dénonciation du capitalisme à courte-vue et de la crédulité des peuples, mais aussi des égoïsmes nationalistes, tout cela avec un spectre inquiétant en toile de fond : car cet empire des salamandres, où l'individu n'est que la simple composante de masses soumises à une autorité unique, qu'est-ce donc sinon la transposition grotesque des ordres totalitaires qui s'affirment alors en Europe ? La Guerre des salamandres en 1936, tout comme La Guerre des mouches de Jacques Spitz, deux ans plus tard, sont en somme des livres qui témoignaient à leur façon et avec une imagination débridée d'une angoisse alors très répandue  : l'imminence de la fin d'un monde.
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Cela débute comme un récit d'aventure avec son capitaine fort en gueule et en jurons (même malais). Jon van Toch, entre deux bordées d'injures maritimes, trois éclats de rire du lecteur, va découvrir ses tapa-boys, genre de salamandres hybrides et bipèdes, capables d'apprendre à parler, de pécher des perles et de servir de nourriture aux requins du secteur. En échange de couteaux pour occire le squale vorace et ouvrir les huitres, le tapa-boy pacifique va ramasser les perles pour le compte du Hollandais. L'association est aussi improbable que fructueuse.

Comme la salamandre a du castor en elle, le capitaine peut s'associer à son tour à un riche industriel afin de maçonner les côtes sous-marines. L'exportation de l'espèce insolite et son exploitation éhontée va démarrer et s'amplifier. le ton va se modifier. Ce que ne manque pas de nous annoncer Capek par la bouche d'un des personnages: "Nous remplaçons le roman d'aventures de la pêche des perles par l'hymne au travail". Exit Jack London. Place à la satire politico-journalistique, scientifico-capitaliste. Et j'en passe.

C'est sous la forme d'une encyclopédie débridée où les notes foisonnent (autant que les salamandres le long de toutes les côtes des cinq continents) que Capek mouline notre société humaine avec une maestria qu'il convient de saluer. La bestiole pullule, Capek exulte. La salamandre s'arme, Capek fourbit sa plume. Fantasque et lucide, loufoque et crédible, la fable gonfle dans un troisième temps sous le couvert d'une science-fiction orwellienne mais creusant plus loin, plus profond (les fonds sous-marins aidant). La salamandre a besoin d'espace vital. Elle menace. Elle exécute.

Après avoir exécuté le roman conventionnel, multiplié les personnages qui vont et viennent, les points de vue, les sources, Capek, l'antitotalitaire Tchèque, finit par discuter avec lui-même. le conte philosophique, visionnaire, peut s'achever. Ecrit en 1936, il ne cesse de se régénérer comme la queue de ses salamandres.
Etonnamment perspicace quant au devenir de l'Europe quelques années plus tard, jouissif dans la peinture des nations, la guerre des salamandres anticipe également les problèmes écologiques. "Pourquoi la nature devrait-elle corriger les erreurs que les hommes ont commises?" interroge Capek.

Etait-il trop aquatique pour sombrer ainsi dans les tréfonds de l'édition? Ou trop tchèque? Pas assez grave? A présent qu'il est remonté à la surface, souhaitons-lui une insubmersibilité tout salamandrienne.
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Cela fait longtemps que « R.U.R », la pièce à l'origine du mot robot dans son sens aujourd'hui universel, est dans la liste des oeuvres littéraires que je veux absolument découvrir. Je n'ai pas encore eu l'occasion de la lire mais du coup le nom de Capek ne m'était pas inconnu. Alors quand, dans un vide-grenier, je suis tombée sur cette « guerre des salamandres » du même Karel Capek je me suis empressée de l'acheter. Il serait vraiment dommage de ne voir en Capek que l'auteur à l'origine du mot robot. La lecture de « la guerre des salamandres » m'a permis de découvrir un auteur vraiment très intéressant et dont l'oeuvre entière semble mériter d'être découverte.

Quel curieux roman que cette « guerre des salamandres » ! Je ne savais rien du roman avant de le commencer, ce qui fait que la surprise a été totale. Il s'agit d'une lecture vraiment déroutante. En s'attaquant au récit de Capek, il ne faut pas s'attendre à un roman dystopique dans la lignée de « 1984 ». Peut-on même parler de roman ? le récit se rapproche davantage d'une fable satirique. Il n'y a pas, comme dans un roman, de héros auquel le lecteur pourra véritablement se raccrocher. Même si la première partie du livre ressemble à un roman d'aventure exotique, le lecteur est vite dérouté par le fait que Capek délaisse assez vite le personnage du capitaine van Toch pour narrer la rencontre entre les salamandres et des personnalités du milieu d'Hollywood. Mais Capek ne va pas s'attarder sur le producteur et la starlette et va s'intéresser au destin d'une salamandre savante. Après un interlude aux allures de publication scientifique, la 2ème partie consiste principalement à une succession d'extraits d'articles de journaux. de la même façon, la 3ème partie multiplie les angles de vue. le schéma narratif n'est pas celui d'une fiction classique. La volonté de Capek est de proposer la forme la plus adaptée à son propos, ce qu'il réussit pleinement selon moi. le propos est d'ailleurs riche et pertinent. Les thèmes abordés et les questionnements soulevés sont nombreux et stimulants.
Le style de Capek est terriblement efficace. Il fait souvent preuve d'un ton mordant et d'un humour acide qui renforcent l'impact de son propos. Tout y passe, la vacuité du monde du spectacle, la vanité des scientifiques, le nationalisme, le bellicisme, l'exploitation capitaliste, et j'en passe… C'est en fait la bêtise humaine que Capek pointe du doigt. Il n'est guère étonnant que les nazis l'aient considéré comme devant être le premier écrivain tchèque à mourir. Comme un ultime pied de nez à la laideur de l'humanité, Capek n'a pas laissé le temps aux nazis de le tuer, il s'est éteint avant son arrestation programmée.

Si ce livre n'est pas de ceux qui suscitent des émotions, il stimule l'intellect, pousse à la réflexion et s'avère brillant dans sa peinture des travers de l'humanité. Capek est incontestablement un grand auteur dont j'ai envie de découvrir l'ensemble de l'oeuvre.
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Citations et extraits (58) Voir plus Ajouter une citation
Ils avaient tous mille et une objections politiques et économiques, plus juste les unes que les autres. Je ne suis ni politicien, ni économiste; je ne peux tout de même pas les convaincre. Que faire, peut-être le monde sera-t-il englouti et submergé? Mais au moins cela se produira pour des raisons politiques et économiques généralement reconnues, au moins cela se fera-t-il avec l’appui de la science, de la technique et de l’opinion publique et avec toute l’ingéniosité dont les hommes sont capables! Pas de catastrophe cosmique, mais seulement des raisons économiques, politiques et d’Etat.. On ne peut rien contre cela.
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Comment n’aurai-je pas pitié du genre humain, je te le demande bien? Mais il m’a surtout fait pitié quand je l’ai vu courir lui-même tête baissée à sa perte.
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- Comment vous appelez-vous ?
R. Andrew Scheuchzeri.
- Quel âge avez-vous ?
R. Je ne sais pas. Voulez-vous rester jeune ? Portez la gaine Libella.
- Quel jour sommes-nous ?
R. Lundi. Beau temps, Monsieur. Samedi, Gibraltar courra à Epsom.
- Combien font trois fois cinq ?
R. Pourquoi ?
- Savez-vous compter ?
R. Oui, Monsieur. Combien font dix-sept fois vingt-neuf ?
- Laissez-nous poser les questions, Andy. Nommez des fleuves anglais.
R. La Tamise.
- Et encore ?
R. La Tamise.
- Vous n'en connaissez pas d'autres, non ? Qui règne en Angleterre ?
R. King George. God bless him.
- Très bien, Andy. Quel est le plus grand écrivain anglais ?
R. Kipling.
- Très bien. Avez-vous lu ses ouvrages ?
R. Non. Que pensez-vous de Mae West ?
- Nous préférons vous poser des questions, Andy. Que savez-vous de l'histoire d'Angleterre ?
R. Henri VIII.
-Que pouvez-vous nous dire de lui ?
R. Le meilleur film de ces dernières années. Décors splendides. Spectacle sensationnel.
- Vous l'avez vu ?
R. Non. Voulez-vous connaître l'Angleterre ? Achetez une Baby Ford.
- Qu'aimeriez-vous voir le plus, Andy ?
R. La course Oxford-Cambridge, Monsieur.
- Combien y a-t-il de continents ?
R. Cinq.
- Très bien. Pouvez-vous les nommer ?
R. L'Angleterre et les autres.
- Quels sont les autres ?
R. Ce sont les Bolcheviks et les Allemands. Et l'Italie.
- Où se trouvent les îles Gilbert ?
R. En Angleterre. L'Angleterre n'ira pas se lier les mains sur le continent. L'Angleterre a besoin de dix mille avions. Visitez la côte sud de l'Angleterre.
- Vous nous permettez de regarder votre langue, Andy ?
R. Oui, Monsieur. Utilisez le dentifrice Flit. Économique, anglais et le meilleur. Voulez-vous avoir une haleine parfumée ? Utilisez ...
- Merci, ça suffit. Et maintenant dites-nous Andy ...

Et ainsi de suite. Le procès-verbal de l'entretien avec Andy comptait en tout soixante pages et fut publié dans The Natural Science. En conclusion, la commission de spécialistes résuma ainsi les résultats de son expérience :

1. Andrias Scheuchzeri, une salamandre du Zoo de Londres, sait parler bien que d'une voix un peu chevrotante ; elle dispose d'environ quatre cent mots ; elle ne dit que ce qu'elle a lu ou entendu. Il n'est pas question de pensée indépendante. Sa langue est assez mobile. Vu les circonstances, nous n'avons pas pu examiner ses cordes vocales de plus près.
2. Cette même salamandre sait lire, mais seulement les journaux du soir. Elle s'intéresse aux mêmes sujets que l'Anglais moyen et réagit d'une manière analogue, c'est à dire selon les idées reçues. Sa vie intellectuelle, dans la mesure où elle en a une, se compose de conceptions et d'opinions courantes à l'heure actuelle.
3. Il ne faut absolument pas surestimer son intelligence car elle ne surpasse en aucune façon celle de l'homme moyen de notre époque.
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Il n’y a pas de doute que le monde des salamandres sera plus heureux que ne l’était celui des hommes ; il sera uni, homogène, régi par un même esprit. Les salamandres ne se distingueront pas des salamandres par la langue, les opinions, la foi ou les exigences. Il n’y aura entre elles ni distinctions de classe ni de culture, seulement une division du travail. Il n’y aura ni maître ni esclave, car tous seront au service de la Grande Entité de Salamandres qui sera le dieu, le roi, l’employeur et le guide spirituel. Il n’y aura qu’une nation et une classe. Ce sera un monde meilleur et plus parfait que ne l’était le nôtre. Ce sera le Seul Nouveau Monde Heureux possible. Allons, cédons-lui la place ; l’humanité qui s’éteint ne peut déjà plus rien faire d’autre que de hâter sa propre fin en lui donnant une beauté tragique pour autant qu’il ne soit pas déjà trop tard.
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Que dirions-nous si une espèce animale autre que l’homme proclamait que, vu son nombre et son instruction, elle possède seule le droit d’occuper le monde entier et de dominer toute la nature ? C’est donc cette confrontation entre l’histoire du passé humain et l’histoire actuelle qui m’a poussé de force à m’asseoir à mon bureau pour écrire « La guerre des salamandres ». La critique l’a qualifiée de roman utopique. Je m’élève contre ce terme. Il ne s’agit pas d’utopie, il s’agit d’actualité. Ce n’est pas une spéculation sur les choses à venir, c’est un reflet de ce qui est, de ce qui nous entoure. Ce n’est pas une fantaisie ; de la fantaisie, je suis toujours prêt à en rajouter gratis tant qu’on en voudra ; mais je voulais parler de la réalité. Je n’y peux rien, mais une littérature qui n’a cure de la réalité, de ce qui arrive vraiment au monde, des œuvres qui ne veulent pas réagir devant cette réalité avec toute la force dont la pensée et la parole sont capables, cette littérature n’est pas la mienne.
Karel Capek, postface
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