Je savais pertinemment ce qu’on attendait de nous. On nous percevait comme des monstres, mais l’intérêt des téléspectateurs pour ce reality show prouvait leur fascination pour la cruauté de nos actes. La plupart d’entre eux seraient rivés à leur écran, dénonçant le concept immoral d’un tel jeu, non sans en éprouver quelques frissons. Certains assouviraient leurs pulsions les plus secrètes à travers nos témoignages bardés de détails sordides. Et d’autres y trouveraient une vocation, partagés entre frustration et passage à l’acte, galvanisés par les images de cadavres dépecés et de scènes de crimes qui ne manqueraient pas de diffuser la chaîne en arrière-plan.
Une stratégie efficace de manipulation des masses par la contre-culture, l’apologie de la violence sous forme de divertissement.
La domination n'est pas seulement affaire de pouvoir, mais de destruction de l'autre par l'humiliation.
L'aube est une renaissance que je savoure jusqu'à ce que les heures du jour dissipent le sentiment de plénitude qui l'accompagne.
Je suis un tueur entomophage qui se bat pour recouvrer sa liberté, grâce à un jeu de télé-réalité créé de toutes pièces par des malades mentaux.
Je me demande ce que les téléspectateurs pensent de tout ça. La vue du sang attise-t-elle leur addiction pour l’émission ou sont-ils au contraire choqués d’assister, en direct, à la mort d’un être humain ? Je pencherais plutôt pour la première réponse, car sans l’intérêt morbide qui les tient accrochés à leur télé, Criminal Loft n’aurait probablement jamais existé.
Mes années d’exercice en qualité de psychiatre m’ont appris le danger que représente l’influence d’Internet et particulièrement des réseaux sociaux. On se lie d’amitié avec de parfaits inconnus sans réelle méfiance. Le masque, illustré par l’écran d’un ordinateur, cache bien souvent des profils factices derrière lesquels sévissent de sinistres détraqués. Nombre de mes patients m’ont avoué souffrir de l’impact de ces relations, qui amènent les gens à se bouffer entre eux.
La canette est toujours à sa place. Et les insectes aussi. Je les observe grouiller en fuyant leur prison de métal. Puis j’en attrape une poignée que je fourre dans ma bouche sans prendre la peine de les décortiquer. Je soupire d’aise en sentant leurs carapaces craquer sous mes dents, même s’il faut avouer que je répugne à les avaler. Qu’importe, ils me nourrissent. Viendra le moment où je ne pourrai plus m’en contenter.
Ce jour-là, je ne résisterai pas à l’attrait de la chair humaine.
Malgré le climat printanier, les couloirs de Waverly Hills absorbent la pénombre, comme si la lumière refusait d’y entrer. Tant de portes et d’accès inexplorés m’attirent inexorablement, tout en ressuscitant cette sensation de malaise dont j’ignore la source. Ce labyrinthe présente des caractéristiques similaires au cerveau humain : mystérieux, complexe et rempli de corridors obscurs.
— Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonsoir ! Bienvenue sur le plateau de Criminal Loft !
(Applaudissements.)
Vous êtes des millions de téléspectateurs à suivre l’aventure de nos lofteurs ! Nous comptabilisons déjà plus de deux cent trente mille commentaires postés sur Twitter ! Ce soir, vos votes désigneront l’un d’entre eux afin qu’il quitte le loft et retourne dans le couloir de la mort !
(Acclamations.)
Et c'est exactement ce que le public attend de Criminal Loft, rivé à son écran, échauffé par une curiosité morbide, à l'image de ces automobilistes qui ralentissent aux abords d'un grave accident , sans manquer une miette du spectacle sanglant qui ne les concerne pas.