Citations sur Deborah Worse (42)
Il ne comprenait pas qu’elle attisât en lui un tel désir. Désir brutal, libidineux et presque sale dont l’assouvissement se traduisait toujours par un sentiment de défaite. Worse possédait l’aplomb charnel de ces femelles de claque qui portent sur leur visage, comme l’effigie glorieuse de leur destin, l’attrait de sombres turpitudes. Lui, dépité, n’avait encore jamais connu cette jouissance abjecte qu’elle lui offrait. Worse ne possédait pas seulement un corps, mais l’âme en rut. Il vivait un enfer et s’en savait irrémédiablement captif.
À soixante ans passés, usé, fini, à moitié décati, il béait semblait-il à une complicité dont Worse n’avait que faire. N’était-ce pas puéril ? Sa solitude de fin de vie était-elle cause de cette tocade ? Des femmes, il en avait connu, et pas que des cadeaux ! Actrices pour la plupart ou entraîneuses de bar. De sacrés numéros. Poupées qu’on entretient et qui vous sucent sans vergogne le compte en banque !
Worse refusait qu’il s’immisçât par trop dans son intimité ; lui aurait désiré une vie à deux. S’en était suivie une courte discussion. Rien là de dramatique. Tout juste une algarade entre amants défraîchis et têtus. Boudait-elle depuis ? Pierre-Henri en sourit, considérant cette querelle bien dérisoire.
La perspective d’une lutte sans merci ne l’épouvantait plus. Ce qui décidément comptait pour elle était de découvrir qui il était. Se prêter à son jeu, c’était trouver le pourquoi de son rapt, ce qui dans son passé intéressait son tortionnaire. En attendant, il lui fallait ne plus prêter le flanc à l’agression mais épouser le rôle du chat.
Certes, elle avait été une star aimée, honnie, vilipendée, livrée comme en pâture aux cerviers du show-biz. Elle avait incarné un temps la pleine réussite, celle qui attise envies et convoitises. Mais son étoile avait pâli. Quel acteur aujourd’hui pouvait nourrir contre elle un tel ressentiment ? Qui se souvenait même qu’elle fût encore en vie et qu’elle eût survécu à son déclin et son opprobre ?
Worse s’étonnait qu’il mît autant d’acharnement à fouiller son enfance. Même le plus fou ciné-maniaque n’aurait agi ainsi. Sa folie était autre, comment dire, contenue, tendue vers un seul but, une même obsession : lever un pan de son passé.
Lequel ?
Il la tuerait probablement, mais autrement. Pas de ses mains, oh non ! Tant de manières existent en ce bas-monde pour tuer son prochain. Non, non : si jamais Worse devait mourir, ce serait suite à un supplice subtil et raffiné dont il se réservait seul la teneur.
Il repensa à Worse et à sa chienne de vie. Une vie dont il voulait connaître tous les arcanes. Le temps était compté. À quoi bon pleurnicher ? D’ailleurs, était-il temps de larmoyer ? N’avait-elle pas choisi de se retrouver là ?
Le monde depuis lurette avait changé ! Voyous, politicards, brasseurs d’affaires le savaient bien. On endossait si aisément l’habit de l’honnête homme ! L’être, recru de lâcheté, avait irrémédiablement capitulé.
L’utilitaire, quand il ne servait plus à rien, se devait d’être confiné, cerné de cauteleuses précautions pour prévenir peut-être une faillite à venir. De ce décor figé montait un ordre froid, rigide et convenu, où la plus petite note de fantaisie était bannie.