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Critique de Arimbo


Arimbo
20 décembre 2022

Un livre absolument passionnant pour qui veut comprendre d'où vient et ce que signifie le free jazz, mais surtout l'histoire de la musique afro-américaine, et ses relations avec l'histoire des noirs américains.

C'est un point fait en 1971, à un moment clé de l'histoire américaine, où les mouvements de contestation des noirs américains évoluaient de l'action non-violente prônée par Martin Luther King à l'action plus agressive engagée d'abord par Malcom X puis par le courant du Black Power. Et, à la même époque, apparaissaient les leaders du free jazz, Ornette Coleman, Sun Ra, Archie Shepp, Cecil Taylor entre autres.
J'avoue que le fan de la période bop que j'étais alors, des Parker, Gillespie, Monk, et des Coltrane, David, Mingus, est passé complètement à côté de l'avènement du « free », et surtout du sens qu'il avait. Et il faut dire qu'on le disait, à l'époque, déconcertant, extrême, difficile à écouter.

Ce livre apporte de façon remarquable un éclairage sur cette période, mais aussi sur toute l'histoire du jazz en parallèle de l'histoire des noirs américains depuis la période de l'esclavage jusqu'aux luttes des années soixante. C'est parfois un peu long, en particulier l'histoire de l'esclavage, puis de la Guerre de Sécession, de l'évolution des conditions de vie de la population noire américaine tout au long du 19 ème siècle et au début du vingtième.
Mais on y apprend plein de choses, par exemple sur l'évolution du statut d'esclave à celle de travailleur pauvre et non qualifié, qui perdure jusqu'à maintenant, du blues comme héritage des work songs, ces chants des esclaves dans les plantations, de son caractère authentique à la différence d'un jazz rapidement récupéré par l'industrie du spectacle et du disque, d'un be-bop refusant ce jazz trop lisse et trop rigide et reprenant à son compte les valeurs du blues, …et bien d'autres notions.
L'ouvrage remet aussi les pendules à l'heure sur la notion d'un jazz qui serait authentique et apparu à la Nouvelle-Orléans.

Un autre aspect intéressant du livre est qu'il analyse de façon pertinente les rapports entre jazz et économie, entre jazz et conditions sociales. Ainsi de l'émergence précoce d'une petite (voire grande) bourgeoisie noire qui privilégie le jazz comme musique de divertissement, de danse et sera opposée à la musique du bop.

Il y a aussi une partie passionnante intitulée « dans les marges de l'histoire du jazz » dans laquelle sont présentés d'autres courants musicaux qui sont intimement liés à l'identité culturelle afro-américaine et à la protestation contre la domination blanche. Ainsi du funk ou de la soul.

Enfin, les cinquante dernières pages sont consacrées aux motivations du free-jazz, et à ses artisans. La volonté affichée de ses concepteurs est de générer une musique totalement libre, qui ne soit plus être corsetée par les cadres plus ou moins rigides du jazz, (notamment la séquence thème répété une fois-improvisation-ré-exposition du thème), d'une volonté de totale égalité des instrumentistes, de l'appropriation d'instruments et de rythmes africains ou d'ailleurs. Et, chez les musiciens, cette démarche va de pair avec un engagement politique non seulement pour la défense des droits des afro-américains, mais encore plus encore sur la revendication de l'héritage des valeurs culturelles africaines, et leur absence d'infériorité par rapport aux valeurs culturelles occidentales.

Un des points de réflexion que m'a suscité ce livre, c'est le rapport entre musique et de façon plus générale art et société. Les auteurs évoquent le fait que la musique, à la différence des autres arts, peinture, sculpture, poésie, théâtre, etc.. reste le domaine où une certaine idéologie dominante l'affirme comme un art « pur », sans relation avec la réalité sociale et politique. le jazz dans son expression la plus « révolutionnaire » qu'est le free s'oppose totalement à cette idée.
Mais, à la réflexion, on pourrait en dire de même pour tous ces courants musicaux actuels, du reggae au rap, du hard rock au heavy metal, la liste n'est pas exhaustive.
Et puis que toutes ces musiques sont, à la base, celles des exclus, de part leur origine ethnique, leur statut économique et social.

En tout cas, ce livre nous rappelle que le jazz reste un exemple majeur de musique issue d'une communauté humaine, émergeant et témoignant de sa souffrance et de son identité culturelle.
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