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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


A Madrid au début des années 30, la crise économique se fait durement ressentir. le travail est rare et la situation est particulièrement critique pour les jeunes femmes pauvres au faible niveau d'éducation. Pour le moindre emploi disponible, elles sont des centaines de postulantes. Pour économiser les quelques pesetas du tramway, elles traversent la grande ville à pied dans leurs vieilles savates éculées pour répondre aux petites annonces du journal, courant d'un bureau comptable à une boulangerie en passant par un atelier de confection, avant de rentrer bredouilles, épuisées et affamées, retrouver leurs parents et la ribambelle de leurs frères et soeurs, tout aussi épuisés et/ou affamés qu'elles.

Matilde est l'une de ces jeunes femmes. La chance lui a enfin souri, puisqu'elle vient d'être embauchée dans un respectable salon de thé. Ce qu'elle va y gagner ne va pas la rendre riche pour autant, juste un peu moins misérable. Parce que les employeurs exploitent sans vergogne leurs employés : dix heures par jour, 6,5 jours par semaine, un salaire miteux et la crainte permanente d'être renvoyée à tout moment. Mais pour les femmes de cette classe sociale à cette époque, le dilemme se résume à choisir entre être exploitée par un patron, ou trouver un mari, se soumettre au patriarcat et devenir une esclave domestique. Matilde, un peu plus instruite et informée que ses collègues, pense qu'une troisième voie est possible : l'émancipation des femmes par la culture, qui passe par la révolution communiste. Déjà en marche en Russie, la lutte contre le capitalisme commence à arriver en Espagne, avec les premières grèves et la création des syndicats.

Depuis le comptoir du salon de thé, Matilde et ses collègues observent les événements sans trop savoir quoi en penser, conscientes de l'injustice sociale mais craignant la perte de leur emploi et la répression policière s'il leur prenait l'idée de rejoindre le mouvement. Entre-temps, le train-train du salon continue : pendant que les livreurs et les clients défilent, le temps s'écoule entre conversations légères, secrets plus ou moins bien gardés, et petites et grandes misères.

Paru en 1934 avant de se perdre dans les soubresauts de l'Histoire et les oubliettes de la censure franquiste, "Tea rooms" est aujourd'hui publié pour la première fois en français. A l'image de son livre, Luisa Carnés (1905-1964) a elle aussi été "invisibilisée" à l'aube de la guerre civile avant d'être redécouverte il y a seulement quelques années en Espagne même. Issue d'un milieu ouvrier, journaliste autodidacte, c'est son travail dans un salon de thé qui lui a inspiré ce roman. Un roman qui m'a fait penser à Zola, en plus fluide et plus concis, direct, avec un style qui m'a semblé très moderne pour son époque avec ses phrases courtes, parfois hachées, sans verbe, et qui multiplie les points de vue en donnant la parole à chaque protagoniste.

Charge virulente contre la condition du prolétariat féminin et plaidoyer pour l'émancipation des femmes et l'égalité, ce roman – écrit à un moment où on croyait encore au Grand Soir – est remarquable par sa construction et sa qualité littéraire.

Et presque 100 ans après, il est, sur bien des aspects, toujours d'actualité.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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