Découverte captivante, imprévue de cette auteure espagnole,
Luisa Carnès [1905-1964 ] autodidacte, ainsi que cette maison d'édition, en cherchant dans les rayonnages et présentoirs de la Bibliothèque Buffon [Près du Jardin des Plantes ] où je vais travailler régulièrement !
Marine Landrot définit fort bien la singularité et la force de ce texte à forte consonance autobiographique…- [cf. Télérama du 1 juillet 2021 ]
« Roman social, grand reportage, manifeste politique, journal intime ?
Difficile de qualifier avec précision ce texte surgi de l'oubli, qui nous parvient 88 ans après sa rédaction par une espagnole au parcours singulier, longtemps censurée dans son pays pour ses prises de position antifranquistes et aujourd'hui encensée pour sa modernité d'écriture et la multiplicité de ses combats (...) « Tea Rooms » est un livre en acier trempé, solide, imposant, qui brille du feu de ses différentes expériences. Il raconte méticuleusement l'oppression, puis la conscientisation d'employées d'un salon de thé madrilène des années 1930, dont l'autrice fit partie du personnel. »
Une sorte de journal de bord relatant le quotidien du travail dans un salon de thé, pour « gens biens sous tous rapports » ...décrivant les rapports entre les serveuses, serveurs, caissière-responsable, le patron, surnommé « L'Ogre » , les clients, les livreurs, tout un monde que , l'héroïne, Matilde divise en deux classes : celle qui prend l'escalier de service et l '» Autre »… ayant tous les privilèges« ..!
Une chronique réaliste… qui dépeint une société espagnole, dans les années 1930, en forte crise économique… et bien sûr, les premières sacrifiées sont les femmes… subissant, dans leur écrasante majorité un sort doublement peu enviable : la misère, des salaires inférieurs aux hommes et la dépendance souvent pesante à un mari… Ce texte, étonnamment, garde une actualité certaine, toutes proportions gardées...
« Mais il y a aussi des femmes qui prennent leur indépendance, qui vivent de leurs efforts, sans avoir besoin de "supporter des types". Mais ça, c'est dans d'autres pays, où la culture a fait un pas de géant; où la femme a cessé d'être un objet de plaisir et d'exploitation; où les universités ouvrent leurs portes aux ouvrières et aux paysannes les plus modestes. Ici, les seules femmes qui pourraient s'émanciper grâce à la culture ce sont les filles des grands propriétaires, des banquiers, des commerçants prospères; et ce sont précisément les seules femmes qui se moquent complètement de leur émancipation, parce qu'elles n'ont jamais porté de souliers usés, n'ont jamais connu la faim qui engendre des rebelles. (p. 153)”
Description et dialogues très vivants au sein de ce salon de thé-pâtisserie , où on s'attache à chaque personnage… même si Matilde peut être notre préférée, étant comme le « porte-parole » de l'auteure… elle nous est plus proche dans ses rebellions, et refus de rentrer dans le moule « fataliste » que l'on octroie aux femmes depuis « la nuit des temps » , d'autant plus dans des sociétés économiquement fragiles…!
Une lecture singulière, et d'une force de persuasion, certaine ! Un grand MERCI à cette petite maison d' édition indépendante, La Contre-allée, de nous faire découvrir cette auteure espagnole…ivre de justice sociale et de démocratie… Un parcours de journaliste engagée…qu'elle vivra à fond, au fil de sa carrière.
Vraiment très heureuse de cette lecture et de cette « rencontre » !
« Avant, on croyait que la femme ne servait qu'à prier et à repriser les chaussettes de son mari. Nous savons maintenant que les pleurs et les prières ne mènent à rien. les larmes provoquent des migraines et la religion nous abrutit, nous rend superstitieuses et incultes. Nous pensions aussi que notre seule mission dans la vie, c'était de chercher un mari, et depuis toutes petites on ne nous préparait pas à autre chose; même si nous ne savions pas lire, ça n'avait pas d'importance: si nous savions nous faire belles, c'était suffisant. Mais aujourd'hui nous savons que les femmes ne sont pas seulement faites pour raccommoder des vieux habits, pour le lit ou pour se frapper la poitrine; la femme vaut autant que l'homme pour la vie politique et sociale. (p. 242)”