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Critique de DocteurPlatoche


Il y a des bouquins, comme ça, qui sont des livres-bibliothèques. Non, non, pas des livres de bibliothèque – qu'on rend toujours à la bourre – mais des livres-bibliothèques, ceux dont chaque page contient une étagère. On parcourt les lignes qui regorgent de titres, on y passe le doigt et, outre la poussière, on se souvient avec plaisir de ceux qu'on a lus. C'est le cas du Silence pour preuve de Carofiglio qui multiplie les références aux classiques de la littérature (policière ou non). Et c'est assurément ce qui me le rend sympathique. Car il n'y a rien de pédant dans ces rappels, pas d'allusions virtuoses ou de mise-en-abyme pour gros malins. On est entre copains, majeurs et vaccinés, et on n'a rien à prouver. Carofiglio cite donc les auteurs qu'il aime et dont il emprunte l'intrigue, le style ou les images. L'originalité en littérature, il s'en fout ; quant à l'authenticité, c'est celle de son plaisir de lecture. En effet, Carofiglio et son personnage Guido Guerrieri sont des jouisseurs – pas des gros jouisseurs à la San Antonio, mais des petits jouisseurs tout de même. L'avocat est ainsi intraitable sur les fautes de goût de ses clients : « le professeur était à coup sûr coupable […], c'était un vantard mielleux et surtout il portait des mocassins à glands. » Pour se convaincre de la sensualité du personnage, on peut aussi considérer tout ce que Guerrieri s'enfile (les petits verres de vin ou de whisky, les menus de gourmet, la jeune fille de vingt ans sa cadette et les séances de boxe, histoire de sentir la sueur) ou tout simplement à quelques passages comme, lorsqu'après une référence à Simenon (donc à Maigret, autre sensuel), l'avocat traverse un pont au-dessus du Tibre : « Semée d'étincelles couleur mercure, l'eau, d'un jaune tirant sur le vert, procurait une impression de gaieté. Il n'y avait pas grand monde, et l'on entendait en arrière-fond de rares bruits de circulation, ainsi que des voix indistinctes. » C'est le genre d'infimes moments où l'on se sent doucement exister. Et oui, ma foi, ça va.

On comprend donc assez vite que ce roman ne va pas trop donner dans la grosse baston et les poursuites en bagnoles. Guerrieri n'aime pas la vitesse, comme lorsqu'un de ses clients parmi les plus grossiers, fait des pointes de vitesse en voiture : « il conduisait comme un chauffeur de taxi de Bombay au son de tubes italiens des années soixante-dix qui auraient soutiré des aveux aux membres les plus radicaux d'al Qaida. » L'intrigue policière va donc se dérouler d'elle-même comme un doux clapotis : une jeune fille a disparu sans laisser de traces, à Maître Guerrieri de la retrouver en interrogeant quelques personnages, peinard. La résolution est prévisible, le coupable est aussi discret que Bernard Tapie et, à la limite, c'est pas très grave : l'énigme est noyée dans ces petits moments où Guerrieri mange un morceau, discute avec une copine, va promener le chien, boit un verre avec une autre copine, écoute un disque. Bref, c'est les vacances, pas la peine de se grouiller.
On peut donc prêter attention à ces petits riens, habituellement éclipsés par l'urgence quotidienne et qui sont pourtant essentiels. le silence notamment, qui recèlent les éléments les plus importants du roman : la résolution de l'énigme, mais aussi la douleur des victimes (le père de la jeune fille) et des condamnés. Ainsi quand l'avocat téléphone à l'un de ses clients pour lui annoncer qu'il devra passer des années en prison : « Je tentai d'ignorer que sa vie se déchirait dans ce silence… ». Caroflio et Guerrieri savent que parler, c'est toujours courir le risque si ce n'est de se trahir, du moins commettre une faute. D'où les personnages qui bégayent, qui mentent, qui se réfugient derrière le secret professionnel ou qui ne se confessent qu'en tapant sur un sac de boxe : dans le roman policier, on peut vous attaquer sur un mot de trop. Guerrieri en fait presque une éthique. A de nombreuses reprises, il se reproche d'avoir parlé pour ne rien dire, d'avoir usé de clichés ou d'un mot en trop. Dans l'ensemble, ce roman est en quête d'honnêteté : il ne cherche pas à faire croire qu'il est plus intelligent qu'il ne l'est, pas d'esbroufe de détective dur-à-cuire ou de thriller conspirationniste, le silence de Caroflio cherche le ton juste.

Seulement voilà, c'est aussi pour cela que ce roman finit par agacer. On ne peut pas lui faire de reproches, non, ce serait trop méchant alors que, lui, il est trop gentil. Mais bon, disons-le franchement : ce bouquin devient ennuyeux par trop de vertu, il est chiant comme l'honnêteté. On s'effarouche parce que les « jeunes » fument des joints – et, bien entendu, les meurtriers prennent de la coke –, on s'encanaille en discutant avec dealers sympathiques ou des putes rangées des bagnoles, on fait des cas de conscience lorsqu'un quarantenaire désire une jeune fille. Guerrieri comme héros de polar, c'est un peu comme une andouille de porc qui ne sent pas : c'est trop propret pour ne pas déranger les amateurs. Au mieux, on peut le taxer d'être une belle âme un peu fade, qui n'a pas souvent mis les mains dans l'action, au pire on peut soupçonner une pudique hypocrisie. Guerrieri évolue dans un système qu'il dit lui-même vicié, et pourtant il reste assez intègre pour jouer avec ses scrupules. Lorsque je lis que Carofiglio a été juge antimafia puis sénateur du Parti démocrate, je ne puis que m'étonner devant l'absence d'une quelconque référence politique. Sûrement voulait-il laisser de côté son boulot et ses affres quotidiens ? Je vous le dis, ce roman sent les vacances et l'utopie.

Ah, sinon, remarquons le superbe choix de la photo de couverture, qui est tout simplement à côté de la plaque.
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