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Critique de Soukiang


Après avoir lu et découvert Grand Froid, "un thriller époustouflant pour une quête de la vérité vertigineuse", "une des plus belles révélations de l'année 2018", à l'heure de la Coupe du Monde de Rugby, je ne pouvais plus repousser l'échéance pour découvrir enfin le premier roman de Cyril Carrere qui découlait également du même processus créatif, à savoir le concours Fyctia, le principe étant de poster des chapitres sur une plate-forme numérique pendant une durée déterminée afin de récolter le maximum de points des lecteurs, c'est pourquoi il n'est pas étonnant de retrouver ce rythme effréné dans le Glas de l'innocence, qui mieux qu'un auteur français résidant à Tokyo depuis plusieurs années pouvait ancrer son intrigue au pays du Soleil Levant ?

Fascination pour un peuple qui a subi plus que partout ailleurs dans le monde, une reconstruction fulgurante après les ruines et vestiges de la Seconde Guerre mondiale, une culture imprégnée de sa position insulaire et d'une envie dévorante de rattraper le temps perdu, entre nouvelles technologies et inventions toujours à la pointe du progrès, cette nation oscille entre tradition et modernité, si le pays est bien entré de plein pied dans le 21ème siècle, son ascension fulgurante peut laisser pantois et admiratif, il est aussi question d'un avant et d'un après dans le Glas de l'innocence, deux périodes paradoxalement rapprochées sur le papier mais dont les cicatrices du passé n'en demeurent pas moins vivaces.
L'importance de respecter les différents pans d'une nation japonaise à travers ses couches sociétales, sa géographie particulière et l'évolution de ses structures pyramidales, l'auteur ne s'en cache pas, l'innovation et le voyage demeurent l'un de ses fers de lance, matérialisés dans des descriptions précises et documentées pour faire immerger le lecteur dans une spirale d'événements, mouvements en staccato et legato se succèdent, un double meurtre suivi d'un homicide lancent les hostilités, une équipe d'enquêteurs de la brigade criminelle de Tokyo s'apprêtent à investiguer, sans savoir encore que ces affaires pourraient bien signifier et sonner leur dernière heure ...

Une construction habile et dynamique contrastant avec les enjeux qui prévalent dans ces affaires sensibles et délicates qui à l'approche d'élections qui à la pression de la hiérarchie, c'est tout une chaîne d'éléments et d'hypothèses qu'il faudra désentrelacer pour faire ressortir des lapins du chapeau, une intrigue complexe à volonté qui ne se laisse pas si facilement dompter, la singularité de ce thriller repose sur ses personnages ambivalents et flirtant souvent avec la zone rouge de la légalité, ce ne sont pas les nombreuses révélations qui le contrediront, tout est tortueux à l'image d'un casse-tête dont on se garderait bien d'anticiper les tenants et aboutissants, le style balance entre virtuosité à rendre une image optique des plus réfléchissantes pour l'oeil reptilien avec ces espaces labyrinthiques des méandres du mal, cette frontière floue ne saurait mentir sur la capacité de l'auteur à ne pas faciliter l'appréhension d'un monde fractionné, entre la volonté de la réussite par tous les moyens et celui de la perte de ses valeurs, le titre éponyme pourrait paraître sans équivoque sauf que là encore, rien ne se passera comme prévu, la dimension et la densité de l'histoire surprennent, pour un premier roman, je tire mon chapeau !

Ce ne sont pas les quelques imprécisions dans la mise en page ou égarements orthographiques qui m'auront freiné dans cette course contre la montre, cette quête de la vérité est souvent synonyme de fil rouge dans tous les romans et à fortiori les suspenses, comme dans Grand Froid, la magie des mots a opéré sans que je puisse véritablement en arriver à comprendre l'origine, je pourrai évoquer l'existence d'une deuxième partie qui m'a laissé sur le carreau, c'est la patte de l'auteur, cette signature thermique qui peut surgir à tout instant dans la construction, passer de la centaine de pages à la toute fin sans crier gare, le thriller prend alors une tournure des plus jouissives, une rupture de ton, dans ce Japon éternel n'hésitant pas à surfer sur plusieurs tableaux simultanément, le sacrifice prend alors une autre connotation à qui veut bien en douter du bien-fondé.

C'est également l'un des autres positifs, l'humanité et cette proximité avec tous les principaux personnages à travers les dialogues pertinents et jamais redondants, à échanger souvent hors contexte pour comprendre et appréhender tous les us et coutumes d'une des plus grandes villes mondiales, Tokyo cette ville cosmopolite je l'aime depuis Lost in Translation de Sofia Coppola mais aussi à travers d'autres films, comme ceux d'Akira Kurosawa, Ozu ou Kitano.

L'émotion est encore plus bouleversante quand elle touche la corde sensible des principes les plus fondamentaux de l'être humain, l'instinct de survie ou l'amour impossible, le Glas de l'innocence s'inscrit aussi dans la complexité des relations humaines, entre tous les protagonistes et ils sont plus nombreux que de coutume, souvent il y a une opposition entre deux personnages antagonistes, le bien et le mal, ici l'auteur évite justement de suivre les structures et autres codes narratifs du thriller pour mieux lui apporter du sang neuf, le personnage d'Hayato Ishida notamment est la représentation de ce Japon divisé entre tradition et modernisme, entre la pensée conservatrice et novatrice, défi générationnel ou génie impulsif ?

C'est sans compter également sur deux autres points incontournables et abordés dans toutes ses saveurs culturelles, l'aspect culinaire, comment lire un thriller tout en éprouvant à la fois l'envie de saliver et celui de goûter à la cuisine japonaise ?
Et l'humour inspiré apporte cette légèreté salvatrice dans une ambiance sous haute tension, histoire de drainer les énergies qui affolent tous les signaux d'alerte ...

Le mensonge commence là où finit souvent la perte des illusions, les rêves qui se muent en cauchemar, c'est l'obsession d'êtres en proie aux pires de ses fantômes et le Japon y attachent un rôle précieux et respectueux à cette figure symbolique d'antan, de ces démons ancestraux venus d'un autre temps, brillant ou chanceux, la psychologie n'est pas le dernier rejeton de tous les atouts d'un thriller qui détonne plus que l'entame, certes d'une brutalité insupportable, mais assez classique dans le déroulé pour le souligner, tout reste ensuite à découvrir ...
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