Limonov

..L'idée me vient que moi-même j'ai donné jusqu'à un âge relativement avancé dans le culte romantique de la folie. L'expérience m'a appris que ce romantisme-là est une connerie, que la folie est ce qu'il y a de plus triste et morne au monde, et je pense que cela, Edouard l'a toujours su, d'instinct, qu'il s'est toujours félicité d'être tout ce qu'on voudra, dur, égocentrique, sans pitié, mais fou, non, absolument pas fou. Le contraire, autant que cela existe.

[Edouard Limonov est décédé le 17 Mars 2020]

Fallait-il se réjouir parce qu'ils seraient plus heureux là bas qu'ici? Ou pleurer parce qu'on ne les reverrait plus? Dans le doute, on buvait.

“L'homme qui se juge supérieur, inférieur, ou même égal à un autre homme ne comprend pas la réalité. " Hervé CLERC

Cette vérité capitale, c'est bien sûr le goulag. C'est aussi que le goulag existe avant Staline et après lui, qu'il n'est pas une maladie du système soviétique mais son essence et même sa finalité.

Est-ce qu'il ne vaut pas mieux mourir vivant que vivre mort?

Un ex-officier du KGB comme le père de Limonov pouvait, à peine, avec sa retraite, s'acheter un kilo de saucisson. Un officier de rang plus élevé, qui avait commencé sa carrière dans le renseignement à Dresde, en Allemagne de l'Est, une fois rapatrié en catastrophe puisqu'il n'y avait plus d'Allemagne de l'Est se retrouvait sans emploi, sans logement de fonction, réduit à faire le taxi sauvage dans sa ville natale, Leningrad, en maudissant les "nouveaux Russes" aussi âprement que Limonov. Cet officier-là n'est pas une abstraction statistique. Il s'appelle Vladimir Poutine.

Il lui permet aussi de tenir ces marathons d'ivrognerie que les Russes appellent zapoï.
Zapoï est une affaire sérieuse, pas une cuite d'un soir qu'on paye, comme chez nous, d'une gueule de bois le lendemain. Zapoï, c'est rester plusieurs jours sans dessoûler, errer d'un lieu à l'autre, monter dans les trains sans savoir ils vont, confier ses secrets les plus intimes à des rencontres de hasard, oublier tout ce que l'on a dit et fait : une sorte de voyage.
P 57

Il faut reconnaître une chose à ce fasciste : il n'aime et n'a jamais aimé que les minoritaires. Les maigres contre les gros, les pauvres contre les riches, les salauds assumés, qui sont rares, contre les vertueux qui sont légion, et si erratique que semble sa trajectoire, elle a une cohérence qui est de s'être toujours, absolument toujours, placé de leur côté.

Est-ce qu'il ne vaut pas mieux mourir vivant que vivre mort ?

Vingt millions de  Russes sont morts à la guerre, mais vingt millions aussi affrontent l'après-guerre sans toit. La plupart des enfants n'ont plus de père, la plupart des hommes encore vivants sont invalides. On croise à chaque coin de rue des manchots, des unijambistes, des culs-de-jatte. On voit partout aussi des bandes d'enfants livrés à eux-mêmes, enfants de parents morts à la guerre ou d'ennemis du peuple, enfants affamés, enfants voleurs, enfants assassins, enfants retournés à l'état sauvage, se déplaçant en hordes dangereuses, et au bénéfice desquels l'âge de la responsabilité criminelle, c'est-à-dire de la peine de mort, a été abaissé à douze ans.