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Critique de Eric75


On ne présente plus Emmanuel Carrère, écrivain « fils de » (Hélène Carrère d'Encausse), forcément russophile et amateur de personnages ambigus, sulfureux ou psychopathes, bref, hauts en couleur. Emmanuel Carrère n'invente pas ses personnages pour écrire ses romans, surtout pas, car il va par principe directement les chercher dans le monde réel, c'est beaucoup mieux. On peut citer à titre d'exemples : l'écrivain paranoïaque Philip K. Dick (Je suis vivant et vous êtes morts) ; l'ignoble assassin Jean-Claude Romand (L'adversaire) ; lui-même, atteint de machisme délirant (Un roman russe) et aujourd'hui le russe démesurément russe Limonov (Limonov).
Les « romans » de Carrère sont donc des biographies, des récits ou des témoignages, qui parviennent cependant à conserver une saveur on ne peut plus romanesque grâce aux improbables aventures qui s'y déroulent, prouvant que la réalité s'ingénie toujours à vouloir dépasser la fiction.
Limonov n'échappe pas à cette règle.
Ce héros au parcours si dostoïevskien et nabokovien (j'aurais pu encore ajouter fitzgéraldien et soljenitsynien pour faire bonne mesure, car il a connu à la fois le ghetto doré des milliardaires new-yorkais et les geôles russes d'où-l'on-ne-revient-jamais-mais-parfois-si-quand-même) a bien évidemment le destin hors norme qui a été annoncé partout… et sur lequel je ne reviendrai pas. Car Edouard Limonov est à présent définitivement sorti de l'obscurité, sans doute grâce au livre d'Emmanuel Carrère. Au même moment, comme par un heureux hasard, sont ressortis en librairie les propres ouvrages autobiographiques de l'écrivain Limonov : Journal d'un raté, Autoportrait d'un bandit dans son adolescence, etc. tout un programme.
Après avoir lu le livre de Carrère, on n'ignore presque plus rien de la vie (familiale, sexuelle, politique…) de cet étrange héros-antihéros non conformiste et controversé, tant le biographe en titre entre dans les détails et accumule les anecdotes, recueillies grâce aux interviews menées, puisées dans les livres publiés de Limonov, retrouvées dans les souvenirs de l'auteur. Parce que Carrère, qui a beaucoup d'amis et de relations, « connaissait » Limonov
Mais ce n'est pas tout, n'oublions pas cette caractéristique que l'on retrouve également dans les autres livres de l'auteur : Carrère parle aussi et surtout… de lui. le récit sur Limonov est sans cesse entrecoupé de considérations sur les événements de la vie de Carrère, les anecdotes de la vie de Carrère, les opinions personnelles de Carrère, qui apparaissent certes comme des éclairages en contrepoint de l'intrigue principale, mais qui à mon avis cassent le rythme et présentent un intérêt parfois relatif (par exemple à propos de lunettes : « J'ai dû en porter dès l'âge de huit ans. Edouard aussi, mais il en a souffert plus que moi. »). Emmanuel Carrère ne cesse de se comparer à Limonov, à la fois comme écrivain et comme aventurier (c'est très clairement annoncé page 221), de rechercher des symétries entre leurs vies : une anecdote lui rappelle la fugue de ses deux fils, une autre un déjeuner avec sa mère…
Malgré les petits excès de cabotinage de l'auteur, la lecture de Limonov, par la somme de détails très fouillés et grâce au parcours absolument sidérant du héros éponyme (qui n'est pas terminé, on peut ajouter aujourd'hui un nouvel épisode avec Depardieu, aurons-nous droit bientôt à Limonov 2, le retour ?), reste véritablement passionnante de bout en bout, même si le roman s'achève malheureusement un peu en eau de krovianka (boudin russe), et laisse le lecteur sur sa faim, car la vie de Limonov, écrivain et dissident politique charismatique dans la Russie de Poutine, est semble-t-il loin d'être achevée.
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