«
Scipion » est composé d'un mélange subtil d'érudition, de tendresse, de noirceur, le tout enrobé de beaucoup d'humour. Voilà un livre dont le déroulement énigmatique maintient jusqu'au bout le désir de découvrir le fin mot de l'histoire. Une histoire simple mais complexe dans son déroulement à l'image de l'esprit torturé d'Annibal.
Le narrateur Anibal Brener est le fils d'un historien émérite, spécialiste de l'Empire romain qui a écrit 32 ouvrages, entre autres, « En lisant Gibbon » et « Histoire et déclin de la chute de l'Empire romain ». Il entretient, depuis son enfance, une relation conflictuelle avec ce père dominateur, séducteur, imbu de lui-même qui l'écrase et l'a toujours regardé avec condescendence. Lui-même devenu un historien raté, est tombé bien bas, devenu alcoolique, vivant dans une pension où il loue une chambre qu'il partage avec un vieillard.
Le roman débute alors qu'Anibal qui n'a pas revu son père depuis des années et n'a même pas assisté à son inhumation deux ans auparavant, doit retourner dans la maison familiale pour récupérer et ouvrir trois boîtes qu'il lui a légué. L'ouverture de ces boîtes va l'embarquer dans une grande aventure intérieure et extérieure.
« Dans la penderie de la chambre jouxtant la bibliothèque, je laisse pour Anibal trois boîtes contenant des éléments que j'ai jugés pertinents pour son développement » p13
A l'ouverture de la première de ces boîtes il retrouve un costume d'étrusque qui lui avait été confectionné pour la fête de fin d'année de l'école. Il avait alors onze ans et s'était senti ridicule.
Puis une note de son père qui lui indique qu'un testament l'attend chez un certain Maître Manzini. A partir de là Annibal et le lecteur vont se trouver pris dans un tourbillon, bien en peine de démêler le vrai du faux.
Annibal va tout au long de son récit parvenir à relativiser ses vieilles blessures en les disséquant au gré d'évènements et de rencontres parfois surprenantes. En lui semblant avoir été programmés, ils vont malgré tout, au fur et à mesure de l'avancée du récit se révéler formateurs.
Cet adolescent qu'est encore Annibal à la quarantaine va se rapprocher de son père pour lequel il ressentira progressivement une réelle empathie. En découvrant le journal de ce dernier, où le professeur Wolfgang Brener alias
Scipion vainqueur d'Hannibal apparaît sous un tout autre jour, il finira par se rendre compte qu'il lui ressemble jusqu'à secréter la même ambivalence.
Et une inondation mémorable va lui faire redécouvrir la perception de son corps et lui permettre d'enfin grandir.
« J'observai l'eau un instant, le regard dans le vague, comme si son alarmante proximité du toit où nous étions ne comportait pas de véritable risque, mais pouvait même être considérée comme belle et bienvenue.
(…) avec ce plongeon dans la rivière …je venais de retrouver la sensation d'avoir un corps au-dessous du cou, un corps dont l'histoire frémissait sur toute l'étendue de sa peau. Cette nouvelle perception corporelle tenait peut-être à ce que mon escarmouche avec la mort avait eu lieu sur un plan nettement physique, étranger à mes doutes et mes obsessions habituelles. » p 206
Annibal Tesino Brener Gomez va alors retrouver le visage et le souvenir des caresses maternelles qui s'étaient effacés, retrouver cette mère qui avait fui l'emprise de son mari pour vivre sa vie.