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Critique de topocl


topocl
31 décembre 2015
Enric Marco est un imposteur de première, démasqué en 2005 par l'historien Benito Bermejo. Pas un escroc qui aurait fait fortune sur des mensonges, mais un homme qui s'est construit une biographie inventée pour apparaître au monde comme un phare, briller, capter l'attention.

Non seulement il s'est approprié une bravoure et une forme de résistance pendant la guerre d'Espagne, mais au final cela a plutôt été le lot commun de l'après-guerre. Mais il s'est aussi attribué des activités anti franquistes, et, cerise sur le gâteau et horreur suprême, il s'est monté de toutes pièces un séjour en camp de concentration allemand. Auréolé de ce passé fictif ô combien valorisant, porté par un charisme et une réelle générosité, il a imposé cette image de héros, et a ainsi pu sortir de son image d'homme ordinaire, toujours « du côté de la majorité ». seulement,

« Marco a oublié que le passé ne passe jamais, qu'il n'est qu'une partie ou une dimension du présent, qu'il n'est même pas le passé - c'est Faulkner qui le dit - et qu'il revient toujours mais pas toujours pour nous sauver (...) »

Javier Cercas, qui dans toute son oeuvre jongle entre vérité et mensonges, fiction et réalité, bien et mal, n'a pu lutter contre sa fascination pour ce « héros», fascination qui l'avait tout d'abord terrorisé, par peur des vérités auxquelles il allait le confronter. Il y a finalement consacré une belle énergie : interviews, rencontres avec des proches amis ou hostiles, avec des intellectuels, compulsion de bibliographique et d'archives…

Si au départ il ne voulait que « comprendre » au fil de l 'avancée de son travail, il s'est alternativement demandé s'il voulait accuser, juger, justifier, réhabiliter, voire sauver Enric Marco. Il s'est surpris à ce qu'une certaine empathie prenne le pas sur son dégoût pour le personnage, l'amène, sous certains aspects, à l'admirer , pourquoi pas l'aimer. Croyant maîtriser son oeuvre il s'est vu tant manipulateur que manipulé, il s'est interrogé sur le rapport entre mensonge et fiction, réalité et roman, ressortant son cher thème du récit réel et du roman sans fiction.

Se plaçant sous le double patronage de Truman Capote avec son récit collé à la réalité (De sang froid) , et de Cervantès et son Don Quichotte qui se fantasme et s'invente comme héros, Javier Cercas , une fois de plus, s'interroge sur lui même, homme et romancier, à travers son analyse trèèès méticuleuse de l'imposteur.

J'ai mis très longtemps à entrer dans le récit, comme c'est souvent mon cas avec Cercas. Mais ici, vraiment très longtemps, plus de la moitié du livre. La première partie est en effet factuelle et descriptive, et plombée par la hantise de l'auteur de se laisser piéger par le mensonge. Cette prudence est comme une chape de plomb sur le récit, elle entraîne des réserves, des circonlocutions, des conditionnels, des avertissements tendant à différencier vérité et hypothèses, des redites nombreuses, des leitmotivs qui alourdissent le propos. Mais la deuxième partie (« le vol d'Icare » et l'épilogue), a fini par emporter mon intérêt, dans une interrogation sans réponse sur l'histoire et la mémoire (sa nécessité et son commerce), le repentir, et la capacité de dire Non.
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