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Critique de Denis_76


"Yesterday a morning came, a smile upon your face.
Caesar's palace, morning glory, silly human race,
On a sailing ship to nowhere, leaving any place,
If the summer change to winter, yours is no,
Yours is no disgrace.
Yours is no disgrace.
Yours is no disgrace." ( Yes song ).
.
1954. "Quelle était donc cette disgrâce qu'il incarnait, pire que la vieillesse ou la laideur ?" se demande Isabelle, au visage laid, prognathe, disgracieux. Sa mère a toujours appuyé sur sa laideur, son père sur son intelligence. Elle fait une tentative de suicide, la rate, puis se repose chez les bonnes soeurs. Elle devient même novice, car au moins, les filles de Dieu ne se moquent pas d'elle. Au moment de sacrifier ses magnifiques cheveux, elle rejette tout et cherche du boulot à Paris. Elle est embauchée comme cadre dans une grosse boîte de chimie...
.
Les personnages sont très travaillés.
Isabelle, tête d'homme sur corps de rêve, est une jeune femme sensible et intelligente. Révoltée contre la société des hommes, avec "leur argent, leur métier, leurs honneurs et décorations, et aussi ce corps qu'ils croient immuable parce qu'il y a toujours une femme pour s'en pâmer", Isabelle pourrait être une warrior du XXIè siècle.
Sa meilleure amie, Marianne, midinette de l'époque, mais qui travaille quand même, tombe à chaque fois dans les pièges masculins.
Il y a les trois dragueurs-chasseurs : Blondel, le numéro deux de la boîte, qui se sert de son prestige pour mettre les filles dans son lit ; Francis, le copain de Marianne, mais minet par excellence :
"J'ai pas peur des petits minets
Qui mangent leur ronron au drugstore
(Chi-chi-chi-chi, chi-bi-dou-ah)
Ils travaillent tout comme les castors
Ni avec leurs mains, ni avec leurs pieds
(Chi-chi-chi-chi, chi-bi-dou-ah)"...
...mais aussi Bertrand, le joueur de tennis.
Isabelle résiste.
Et puis, il y a les trois "drames" d'Isa :
Annie, employée de la boîte, petite fille dans sa tête qui veut faire une TS parce qu'enceinte, son copain l'a laissée tomber ;
M. Tannoire, employé aussi, poliomyélite qui marche avec des cannes, se "démantibule" dans l'escalier, donc hôpital, puis visites d'Isa qui prend, auprès de lui, des leçons de sagesse ;
Enfin Blondal, victime de ses excès sexuels, attaqué par une crise cardiaque, paralysé.
Empathique, la toujours célibataire et révoltée Isabelle rend régulièrement visite à ces trois là.
Et puis il y a Hervé Jacquet...
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J'aime beaucoup Gilbert Cesbron, essayiste, romancier et cadre d'entreprise. Ado, il m'avait bouleversé avec "Chiens perdus sans collier", et "C'est Mozart qu'on assassine".
Même si le scénario est ici un peu lourd, c'est peut être voulu ainsi par l'histoire racontée, mais l'écriture est nette et percutante, les mots sont choisis et à leur place.
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"Une abeille contre la vitre", c'est Isabelle, bosseuse et intelligente, mais seule, qui se heurte au plafond de verre masculin ! Cette solitude est sa pire ennemie, mais :
"Pour avoir si souvent dormi
Avec ma solitude
Je m'en suis fait presque une amie
Une douce habitude"
...Jusqu'au jour où...
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Une phrase philosophique surtout, m'a fait plaisir :
"La question n'est pas d'être "heureuse", mais en paix".
En effet, je pense qu'il y a plusieurs sortes de philosophes ;
il y a d'abord ceux du bonheur, qui se rapprochent des théories du développement personnel ;
puis il y a les philosophes malheureux, comme Nietzsche ou Cioran ;
Enfin, il y a ceux de la paix de l'âme, comme Epictète ou la Mère Supérieure d'Isabelle.
Mais je crois qu'on peut trouver encore d'autres entrées dans la philosophie.
J'ai trouvé un autre aspect philo-sociologique du roman, car, grâce à l'histoire racontée, Gilbert Cesbron assène des vérités, par l'intermédiaire de Tannoire sur le bien et le mal, la grâce et la disgrâce ; ou avec Isabelle sur la société des hommes en 1954, et celle des femmes.
Un écrivain masculin peut-il se glisser dans la peau, l'âme d'une femme, d'une héroïne ? Je ne sais pas, je suis un homme, mais je crois que l'auteur y arrive très bien : toutes ses analyses psychologiques me semblent très fines, très sensibles !
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Voilà. Malgré la lenteur de lecture due à la densité du texte, j'ai adoré !
Et, dans les dernières pages, le romancier fait un véritable réquisitoire contre la société des hommes, en même temps qu'un hommage prononcé aux femmes, astreintes à besogner quatre-vingt-dix heures par semaine quand elles cumulent enfants-ménage-boulot !

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