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Critique de Zebra


Pascal Chabot est philosophe et il enseigne à l'IHECS (Bruxelles). Auteur de la philosophie de Simondon (Vrin, 2003), Après le progrès (Puf, 2008), Les sept stades de la philosophie (Puf, 2011), il a dirigé les ouvrages collectifs Simondon (Vrin, 2002), Les philosophes et la technique (Vrin, 2003, avec Gilbert Hottois) et édité Territoires intimes, Michèle Noiret, la danse-cinéma (Alternatives Théâtrales, 2011, avec Sergine Laloux). Il a aussi réalisé, avec François Lagarde, le film Simondon du désert (2012). Global Burn-Out est son tout dernier ouvrage (PUF 2013).

Consacré à un mal bien contemporain, le burn-out (ou surmenage), ce livre est inscrit sous le double signe du constat et de l'espoir (cf. quatrième de couverture). Paru aux PUF, l'ouvrage révèle un travail très documenté, actuel, interpelant la réalité du burn-out dans son universalité et sous toutes ses facettes. Édité dans la collection Perspectives Critiques, l'ouvrage - qui n'a rien de médical - ne pourra étonner le lecteur par la profondeur de l'analyse. le style est limpide et sans détours, au premier degré. La dédicace en page 7 (« Aux contemplatifs ») étonnera toutefois le lecteur en ce sens que l'entreprise de transformation tant espérée par Pascal Chabot (« transformer l'oeuvre au noir du burn-out afin qu'il devienne le théâtre d'une métamorphose, et que naisse de son expérience un être moins fidèle au système, mais en accord avec ses paysages intérieurs ») pourrait au final relever de l'utopie. Surprenant ! Et tout le problème est là, car l'auteur nous annonce en début d'ouvrage un programme très intéressant (il va nous dire en quoi consiste le mal, qui est concerné, comment détecter le mal, comment le traiter et quel système substitutif mettre en place) mais il ne nous livre qu'une enquête sur le burn-out. Probablement conscient du « loupé », Pascal Chabot tente à sa façon de traiter complètement son sujet mais, du coup, le livre avance lentement, les redites sont nombreuses et tout ça laisse un gout d'inachevé.

Alors, faut-il lire « Global Burn-Out » de Pascal Chabot ? Évidemment.

Premièrement, parce que le livre resitue l'évolution historique du syndrome. Réalité d'abord américaine et psychologique, débusquée dans les années 80, le burn-out, ou syndrome d'épuisement professionnel, a d'abord touché les métiers d'aide (enseignants, infirmiers, gouvernants) pour s'étendre progressivement à une part significative des individus, hommes et femmes, au travail. L'exposé est clair et dense.

Deuxièmement, parce que Pascal Chabot nous montre la radiographie de ce qui est une vraie pathologie de civilisation. Au départ, vous prenez un être humain normal (le mot est à la mode), doté de gadgets technologiques. Il adhère aux valeurs de son employeur, il a une croyance assez folle en un avenir professionnel meilleur, il se dit que « le jeu en vaut la chandelle » car son travail lui apporte récompense et reconnaissance. Son soutien à l'entreprise est sans faille et inconditionnel. Ensuite, les choses se gâtent. L'individu doit sans cesse accepter de nouvelles contraintes et modifier ses habitudes. du coup, sa gestion personnelle devient « border line » : la charge de travail explose, la délégation se généralise, la pression augmente (mails répétitifs, réunionite aigüe), les contrôles pleuvent, les résultats personnels sont insuffisants, le temps manque pour corriger soi-disant des « erreurs » et pour atteindre les objectifs assignés. L'individu est aux prises avec une réalité complexe où le flou généralisé a remplacé les repères et la certitude du lendemain ; l'individu se retrouve seul, assailli par des « forces toxiques » (la maladie du « trop »). A ce stade, un simple événement (une plaisanterie, une remarque …) peut déclencher la perte d'équilibre de notre sujet : celui-ci passera de la surprise au sentiment plus ou moins diffus d'échec puis d'inutilité. Les causes de l'échec (le fameux dictat du chiffre d'affaires, des bénéfices, de la marge …) apparaissant non contestables, l'événement ne pouvant être surmonté (peut-on banaliser ou relativiser la remarque que vous fait votre supérieur hiérarchique alors même que se développe la précarité et le chômage ?), l'individu constate pour lui une absence de perspective positive, une impossibilité de prendre du recul, une « trahison désillusionneuse ». Au final, le travail qui n'apportait plus de plaisir rend maintenant coupable. L'individu qui tente de recourir au dopage pour nier l'évidence, le malaise et l'épuisement n'arrive plus à surmonter la situation. Les loisirs ont disparu, la vie privée s'est étiolée, la vie familiale est une suite ininterrompue de problèmes à résoudre, la vie sociale a fondu comme neige au soleil, les réseaux sociaux ne peuvent venir en aide. La radio ne trompe pas : l'individu est brulé de l'intérieur, il coule et la dépression montre déjà le bout de son nez.

Troisièmement, parce que le livre exprime une critique pénétrante du management techno-capitaliste. Expérimenté par ceux qui s'impliquent trop dans leur boulot - obsédés qu'ils sont par leurs performances - le burn-out n'est plus un tabou, une maladie honteuse, un mal-être qui prête à sourire, mais le résultat d'une entreprise de « cassage » humain d'une affligeante et criante banalité, d'une entreprise inhumaine qui ne fait la une de la presse que lorsque les suicides abondent sur les lieux du travail. le management techno-capitaliste prend des formes multiples mais elles sont le fruit du cynisme de la hiérarchie : des objectifs annuels toujours plus inatteignables, des deadlines ahurissantes (passée la deadline, l'individu est perdu, professionnellement mort), un certificat médical qui déclare l'individu inadapté (alors qu'en fait, il n'arrive plus à s'épanouir dans son travail), etc. Pascal Chabot nous livre une critique en règle, renversante bien que politiquement un peu orientée. On pourra ne pas aimer !

Enfin, parce que le livre esquisse quelques solutions possibles à la dépersonnalisation et à l'aliénation qui caractérisent le burn-out. D'abord par un travail (c'est paradoxal) sur soi : auto-analyse, repos, sommeil, yoga, sport, paresse, écoute de soi, etc. Ensuite, par un travail sur la société : recherche d'un « équilibre serein dans la relation au monde », lutte contre la cupidité (réduction des bonus et diminution du montant des parachutes dorés ?), aménagement du temps de travail (notamment pour les femmes hyper-actives), encouragement du coaching pour les travailleurs en déséquilibre professionnel, pénalisation du management par la terreur, etc. Pistes de réflexion, voeux pieux ou réalités en germe ?

Au final, un constat et des réflexions philosophiques. le livre devrait plaire aux contemplatifs. Les sociologues, les syndicalistes, les militants et tous ceux qui voudraient y trouver des trucs et des astuces au quotidien resteront sur leur faim.
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