Citations sur L'Enragé (364)
Chautemps a donné trois coups de sifflet pour appeler à la rescousse. Deux surveillants sont arrivés en courant du 2ème quartier. Quelques lèche-bottes, qui ont eu un certificat de bonne conduite, les appellent des moniteurs. Depuis la réforme, c’est leur nom. La Colonie pénitentiaire a été baptisée Maison d’éducation surveillée, et les gardiens, des moniteurs. Surveillant, ça faisait trop prison. Moniteur, ça chante la colonie de vacances.
Au mitard les infâmes. Briser les tout-petits, étrangler les plus grands , les rêves des uns ,la colère des autres. Transformer ces gibiers de potence en futurs soldats, puis en hommes , puis en plus rien. Des spectres qui erreront dans la vie comme dans les couloirs d'un bagne , serviles , honteux .
Nous ne nous devions rien. Mais à sa manière, chacun protégeait l'autre. Une alliance de survie. Presque une amitié.
Jamais de ma vie je n'avais pensé au mot "ami". Jamais je ne l'avais employé pour personne. Je suis né sans proches, ni parents ni amis. Ni les baisers d'une mère, ni les ordres d'un père. Pas non plus d'enfant à mes côtés, de copain à l'école, de camarade de jeux...
« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Il avait dit j’en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l’avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s’est levé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes »
Jacques Prévert (extrait)
J'ai pensé à moi, enfant. Mon rêve d'une main tendue. D'un gars qui me relève après la bagarre. Qui arrête le poing ivre de mon grand-père. Qui tende la jambe pour crocheter le gendarme à mes trousses. Sans prononcer le mot, j'avais rêvé d'un ami. Sans que Loiseau s'en doute, il l'était devenu.
J’étais devenu une île. Une prison ancrée au milieu de l’eau. Je n’avais pas réussi à m’évader.
La phtisie de ta mère, la parte folle de ton frère et les puces de ton chien, la voilà, ta famille! Sans le travail que je t'ai donné, vos assiettes seraient vides. Sans mon bateau, tu aurais volé du pain et tu te serais retrouvé là-bas, comme un criminel!
Lorsque je pêchais dans sa houle, la mer ne me portait pas, elle m'encerclait. Sa fureur hantait mes jours, mes rêves. Quand j'ouvrais les yeux, elle me barrait l'horizon. Lorsque je les fermais, elle me submergeait. J'étais devenu une île. Une prison ancrée au milieu de l'eau.
Je traverse la ville aux volets clos. Les rues désertées. Le port mort. Je crève d'envie de réveiller des gens, t'inventer une famille, juste pour ton enterrement. Mais il n'y a que nous, ton poids dans mes bras et le ciel qui porte l'orage.
Les autres me laissent avancer seul jusqu'à La Bouche du diable. Je leur ai inventé des flambeaux pour écarter la nuit. L'eau bat la roche noire. Je te lève au-dessus de ma tête, à deux bras, ton corps cassé entre mes mains. Je te jette dans le tumulte.
Et je hurle à ta mort.
P.369
"Sans repit, sans espoir, rivés à leur morne tâche comme un boulet de forçat, les petits prisonniers de Belle-Ile-en-Mer ne survivent que grâce à un mirage : l'appel du large et l'évasion " p.305