Oh un écrivain ! ça faisait longtemps. Petites bulles nerveuses fonçant direct au cerveau, on travaille dans le beau, c'est Dom Pérignon à tous les étages, le paysage se déplie avec la magie d'une tente Quechua clic and go ( et tout comme son homologue en toile, le livre sera extrêmement réfractaire au repli) ; on admire le roulé des brunes épaules du bel Ambila , et les gras zébus qui se couchent dans un soupir sous ses coups intrépides.
On présume aisément que l'auteur pourrait rendre plaisant un exemplaire de contrat d'assurance en 36 pages, tant ses petits doigts tricotent habilement les images colorées dont nous sommes tant friands.
Pourtant le thème et l'ambiance de guérilla, bof -bof ; depuis la défaite des derniers Apaches contre les pieds-tendres, je n'ai plus trop de goût pour la raclée, un manque d'entrain certain, même.
Mais pour l'auteur, il fallait que ce soit dit, cette histoire soigneusement étouffée : 1947, Madagascar, les français dérouillent pitoyablement les rebelles malgaches qui auraient bien voulu les voir enfin prendre la route du retour ; la répression sera barbare et à grande échelle. Honte.
Un livre Tout-en–un, on passe fluidement de l'âme aux godasses, et aller-retour, l'échelle des sentiments est parcourue intégralement sans ballonner, la sorcellerie coule de source, le mysticisme tombe sous le sens ; poésie et mélancolie passent avec la grâce silencieuse d'une grande aigrette, on voudrait les rappeler, elles sont déjà passées.
Images de terre chaude, celle qu'il puise au pied de l'arbre magique de la forêt, mélange brouillon d'opportunisme, de panthéisme et de chagrin définitif.
Certains lecteurs semblent avoir été gênés par les noms exotiques sans référents ; personnellement ça n'a pas entravé ma galopade, ce petit hermétisme pouvant aussi servir de tremplin savonneux pour l'imagination ; ça m'a fait penser aux noms loufoques des peuples inventés par
Henri Michaux, qu'il décrivait pourtant avec un sérieux et une rigueur d'ethnologue.
Ambila , personnage terriblement patibulaire avec ses petites magouilles, avant de devenir énormément nôtre. Toutes ses émotions sont un condensé d'une vie humaine , entre mesquineries pathétiques et brusques élans de générosité totale, douleurs gelées à vie et chaleur inondante d'une existence entrevue en rêve ; beauté de ses amitiés sans partage, beauté de sa tendresse pour Josselin, le petit lémurien qui l'a élu entre tous et se love dans son cou, écho d'une tendresse maternelle inachevée.
Fin poignante sur coussin d'air, on nous arrache les tripes façon grand hôtel, tout en feutré.
Le talent, écriture, comme univers ; encore un joli coup,
Monsieur Toussaint Louverture !