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* Joseph Andras " Kanaky " * Des mots de minuit - Lire
© Des mots de minuit - France Télévisions
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Veroz m’écrit : “J’ai lu que vous résumiez ce qui se passe en Iran à la question du voile. On vous parle de totalitarisme et vous parlez d'un vêtement. Dire que je croyais que vous étiez des esprits éclairés, les Européens !“
Les morts n’habitent les lieux que dans l'esprit fabulateur des vivants : “ci-gît“ obstrue l’imagination, “ici a vécu“la stimule. Des mouches déposent leurs oeufs puis les asticots, bouffant les tissus, cèdent place à tout un fatras d’os – de leur poussière, bientôt, nous esquissons des flèches aux parois du dédale qui nous tient lieu de vie.
Fernand a été torturé toute la journée ; il en a donné trois. De quelles matières sont donc faits les héros, se demande-t-il, attaché au banc, la tête en arrière ? De quelles peaux, de quels os, carcasses, tendons, nerfs, étoffes, de quelles viandes, de quelles âmes sont-ils fichus, ceux-là ? Pardonnez, les camarades...
Il ne sait presque rien d’elle mais ce qu’il en sait suffit bien amplement.
Inutile de lester un cœur battant.
La mort, c'est une chose, mais l'humiliation ça rentre en dedans, sous la peau, ça pose ses petites graines de colère et vous bousille des générations entières (p.61)

Puis dans les océans les bactéries s‘en iront créer Dieu. Les racines et les insectes font des ombres sur les terres émergées qui feront les continents qui feront les nations. Les poissons enfantent les primates qui se dressent sur leurs dix doigts pour tracer aux parois des dessins d'une beauté sans pareille. Ceux-là n’ont pas encore la sagesse que nous prêterons mais le crâne chaque jour un peu plus rond. Leurs pas ne sont pas épais des cités que nous lèverons un jour dessous le ciel. Mais déjà nous capturons les lourdes bêtes au cornes creuses et traçons des signes sur de l'argile. Nous bénissons le fer et déchaînons les sabots de nos armées. Nous rassemblons des rives et bâtissons des remparts. Nous brûlons les champs au sein desquels nous savons nous aimer en frottant nos chairs comme nous frottions la pierre. Nous élevons des empires et jetons à l’eau les voiles qui étoufferont les coeurs au loin. Nous enlaçons les peaux que nous dépeçons le soir venu et prions les saintes pour fleurir les putains. Nous chantons les amours disparues et perpétuons la race. Nous marquons au feu les humains dont nous disons qu'ils n'en sont pas. Nous couvrons d’or les quelques uns et de sueur tous les autres. Nous saisissons au col un roi pour lui demander pourquoi nous ne le sommes pas tous, roi. Nous croisons de gris le vert du vaste des forêts et raturons l’horizon de hautes fumées noires. Nous jurons que la Terre n'aura bientôt plus aucun secret.

Elle aima la chaux claire des maisons et la mer toujours comme évidence; elle aima les pâtisseries que le quartier lui offrait pendant le ramadan; elle aima les ruelles malaisées et bancroches de la Casbah et ses poivrons, ses poissons, ses agrumes et ses têtes de moutons tranchées; elle aima les arcades du centre d'Alger et l'allure blanche de la Grande Poste; elle aima son port pointu de mats et ses quais, goulées grises de Méditerranée; elle aima le palmier renversé, dans leur quartier, sur lequel les passants s'arrêtaient pour discuter ou se délasser; elle aima ce gamin dont elle ne sut jamais le prénom et qui lui demanda un midi sa main tandis qu'elle se rendait chez le cordonnier; elle aima entendre cette langue inconnue, arabe lancé des fenêtres, des marchés et des cafés, roulant d'amples tissus en bouches sombres; elle aima les interférences et les carambolages d'une ville entre deux mondes, immeubles haussmanniens et mosquées mauresques, étrange tête-à-tête de couleurs et de cultures.
L'État est ainsi fait : sourd comme un pot. Un gros pot de fer. Formulez deux ou trois requêtes raisonnables, résolument décentes, même un peu prosternées la paupière basse, et voyez-le vous toiser du haut de son gros cul de fer. Jurez lui qu'il en est trop, vraiment trop ; il en appellera à la loi qu'il a, heureux hasard, lui-même conçue. Sur ces entrefaites, enfoncez la porte d'un ministère ou esquissez dans le ciel d’épaisses grappes de la fumée des voitures, des appartements ou des restaurants des plus aisés d'entre ses citoyens ; tout soudain, il vous voit. Pour peu que vous réduisiez en poussière une caserne ou un camions de flics, vous voilà à la table – de torture, d’abord, puis des négociations. C'est chagrin, mais l'État est ainsi fait.
Hélène salue Farouk, qui refuse de prendre son argent, un refus qui n'a rien d'une politesse mais tout d'un ordre : on ne fait pas payer la femme d'un combattant du peuple, prenez soin de vous madame, oui, bonne soirée à vous aussi.
La lune baille et embrume l'obscurité de son haleine blanche. Maille étoilée - milliers de petites clés ouvrant la nuit.
Aujourd'hui, soixante-treize "rebelles" ont été tués.
L'Histoire n'est jamais qu’une façon pour les puissants de continuer à faire les poches aux morts.