Incipit :
Peindre est une affaire de lumière et cette fille-là capte les éclats de soleil comme aucune autre créature terrestre. L’astre du jour dessine des cascades d’or dans sa chevelure et sème des paillettes sur le rebondi de ses joues. Des clartés étranges flottent autour de ses courbes.
"-Il y a ce truc de l'époque, dit-elle, sans être capable d'xpliquer ce qu'elle a en tête.
La nuit elle passe des heures sur Internet, lit la presse, écume les réseaux sociaux.
- Ce truc ?
- Cette qualité étrange qu'a ma génération, désespérée et furieusement consciente à la fois. Celle de Facebook, de l'addiction aux séries, et aux jeux vidéos. Celle qui sait qu'elle ne connaîtra pas l'âge d'or mais ne rennoncera pas pour antant à réclamer son dû. Inconsolable, violente, gavée de références pop, comme un film de Tarantino. J'aimerais qu'il y ait de ça dans ma musique. Cette folie.
- Alors, mets-là."
Joan aurait sans doute pris son œuvre pour de la prose un peu sombre de post-adolescente. Mais en s'y immergeant sans réserve, elle a compris que sa mélancolie trace aussi un chemin de lumière. Une quête relevant de l'invisible et du sublime. Celle que seul le pouvoir immense de la poésie permet.
Elle a toujours eu la conviction que le rôle de la musique était d’éveiller les consciences. Celle de Lana joue un rôle différent. Elle plonge dans l’ombre de la mélancolie et la cisèle pour y laisser passer la lumière. Elle ne pousse pas à la révolte : elle guérit.
Elle se jette sur le poste de radio de sa chambre, tourne le bouton en quête d’une station rap et l’écoute jusqu’à ce que l’aube cogne derrière ses fenêtres. Les nouveaux titres d’Eminem y tournent en boucle. Chaque fois, elle est traversée par la même intuition, la conviction d’avoir compris quelque chose d’essentiel sur le pouvoir des mots.
Elle a tant à faire avant de se choisir un refuge: pousser son exploration plus loin encore, suivre ce mystérieux instinct qui la conduit toujours du côté de l'étrange. Vivre, palpiter, s'en-sauvager, afin de pouvoir coucher tout cela sur le papier. Se remplir du monde pour en faire poésie.