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Critique de AMR_La_Pirate


Il m'arrive de me replonger avec un immense plaisir dans d'anciennes lectures et de retrouver les notes prises il y a longtemps… Je redécouvre Chateaubriand, considéré comme l'un des précurseurs du romantisme… L'occasion de relire Atala et René.

À l'origine, Atala et René sont les héros d'une saga indienne que Chateaubriand a écrite au retour de son voyage en Amérique, pendant son exil en Angleterre, dans les années 1793-1800. Il voulait raconter la fin de la tribu des Natchez en prenant le contre-pied de l'Amérique vue comme nouveau monde et insister sur les violences subies par les populations autochtones.
Puis, de retour en France, l'auteur a mis de côté l'histoire des Natchez pour se consacrer au Génie du Christianisme ; ainsi, il a récupèré certains épisodes, dont René et Atala, pour les intégrer à cette composition d'envergure avant de se rendre compte que cela ne convenait pas avec le postulat général…
Atala avait un côté très exotique, un peu à la manière de Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, paru en 1789.
Pour René, l'auteur s'est interrogé sur le bien-fondé de la présence d'un tel récit, qui fait le portrait d'un incurable mélancolique, dans une oeuvre censée rappeler les mérites de la religion chrétienne : en quoi le cas de René, que rien ne peut guérir de son ennui, pouvait-il aider à la conversion ? Chateaubriand, conscient de cette difficulté, a érigé René en contre-exemple et l'a sorti du cadre du Génie du Christianisme pour le publier à part, le plus souvent associé à Atala.

Chateaubriand a beaucoup insisté dans son oeuvre sur l'affinité de la sensibilité chrétienne et de l'état mélancolique.
Avec Atala, publié en 1801, Chateaubriand voulait démontrer comment la religion est « la première législatrice des hommes » et illustrer les combats de la passion dans un coeur simple.
Au moment de la publication de René, en 1802, cette analyse était assez novatrice mais déjà partagé par bon nombre d'écrivains dits romantiques, profondément marqués par le discours chrétien sur la finitude de la vie, sur les faiblesses de la nature humaine et par les représentations chrétiennes d'un bonheur inaccessible ici-bas, qui pourrait seul combler les désirs du coeur humain.

ATALA :
Ce texte a d'abord été publié sous le titre « Atala ou les amours de deux sauvages dans le désert ». Cette histoire d'amour entre deux « primitifs » a conquis le public de l'époque, par un réel effet de dépaysement.

Il s'agit du récit que fait Chactas, un vieil indien aveugle, à René, un jeune homme venu en Amérique pour échapper à ses propres malheurs. Il lui raconte comment, fait prisonnier par une tribu ennemi, il a été délivré par la fille du chef et comment il s'est enfui avec elle, avec la promesse d'une belle idylle au sein d'une nature accueillante.
Chateaubriand ne met pas réellement en scène des sauvages car ses personnages ont connu la civilisation ; Chactas est allé en Europe, Atala est chrétienne… de plus, extraordinaire coïncidence, elle est en réalité la fille du vieil espagnol qui fut le bienfaiteur de son amant. Malgré tout, ils évoluent dans la proximité de la pleine nature, grandiose et luxuriante, dans la région du Mississipi ; Chateaubriand n'est jamais allé aussi loin au cours de son propre voyage, mais il dépeint les lieux, la faune et la flore en s'inspirant de récits d'explorateurs. Il en fait un endroit enchanteur, aux paysages magnifiques plus à la manière d'un artiste que d'un voyageur ; ses ambiances extérieures vont au-delà du simple décor car elles sont conçues comme de véritables tableaux, en adéquation parfaite avec les sentiments et ressentis des personnages.
L'idylle païenne entre Chactas et Atala est cependant de courte durée car l'attitude de la jeune fille devient de plus en plus incompréhensible pour son compagnon, tant elle est partagée entre son désir de vivre heureuse avec lui et la terreur de manquer à un serment, ancien et secret, fait à sa mère de demeurer vierge. Après un terrible orage, ils sont recueillis par un missionnaire, le Père Aubry. Chactas veut épouser Atala, mais la jeune fille, ignorant qu'elle pourrait être relevée de ses voeux par un évêque, renonce à la vie et à son amour en avalant un breuvage empoisonné ; le père Aubry n'a que le temps de recevoir sa confession et son dernier soupir.
L'écriture est très poétique ; ainsi, la description des transes, des alternatives de crainte, d'espoir, de remords qui tourmentent les fugitifs et celle de la messe dite en plein air par le père Aubry et son sermon sur le néant des passions et la bonté de la providence sont particulièrement lyriques.

Avec Atala, Chateaubriand a voulu démontrer les dangers de l'enthousiasme et de l'ignorance en matière de religion. Il a donné beaucoup d'importance aux derniers moments d'Atala et à ses funérailles, vus au travers du prisme du regard de Chactas ; il en trouve les rites mystérieux et magiques à la fois, entre merveilleux et surnaturel.

Je gardais de cette très ancienne lecture un souvenir à la fois poétique et terriblement triste. J'avoue l'avoir relu avec une posture beaucoup plus esthétisée qui a sans doute nui à l'émotion.

RENÉ :

Ce court récit est à la fois l'analyse d'une crise de la puberté, des troubles de l'adolescence provoqués par l'énergie d'un désir amoureux qui est encore privé d'objet, et une remise en cause des effets du savoir, avec les progrès de l'enseignement et la diffusion des livres qui engendre des générations blasées, sans illusions, déçues avant d'avoir vécu. L'état de mélancolie naît de ce contraste, de ce heurt, entre « un coeur plein » et un « monde vide ».

Le résumé de la vie de René qui ouvre le récit renvoie à l'histoire racontée dans Les Natchez avec quelques petits ajustements concernant son mariage avec l'indienne Celuta. René vit comme un sauvage parmi les sauvages, comme un misanthrope parmi les primitifs, ne fréquentant que l'indien Chactas, sorte de père adoptif, et le père Souel, un missionnaire, deux vieillards qui veillent sur lui sans connaître les raisons de son exil dans les déserts de la Louisiane.
À l'arrivée d'une lettre annonçant la mort de sa soeur, pressé de leur ouvrir son coeur, René accepte de leur confesser « les sentiments secrets de son âme », prenant la parole à la première personne dans un discours chargé émotionnellement, entrecoupé de larmes. Aucun recul dans ce récit, aucun humour, aucune autodérision : c'est vraiment d'essence mélancolique et mortifère, un deuil sans résilience ; ici, la parole ne libère pas, elle entretient la souffrance, se fait complaisante.
René a montré très tôt une inclination à la mélancolie. Orphelin de mère, il est proche de sa soeur, Amélie. A la mort de leur père, les deux enfants envisagent la vie monastique, puis y renoncent ; René choisit de tromper son mal être en voyageant. de retour en France, René découvre une société changée où règnent la corruption et l'impiété. Sa soeur affiche une attitude pleine de défiance et semble le fuir. de plus en plus solitaire, proche de la démence, il songe au suicide mais Amélie parvient à le détourner de ses funestes projets. Puis, la jeune femme disparaît, vraiment résolue à prendre le voile ; lors de la prononciation de ses voeux, René comprend qu'elle a eu pour lui une passion coupable. Ayant enfin une véritable raison d'être malheureux, il semble paradoxalement se ressaisir et décide de partir en Amérique.
Chateaubriand met en place un système de communication qui aboutira au jugement du jeune homme, se servant du père Souel pour dégager une morale chrétienne de l'histoire de René : il va condamner sa solitude rêveuse, éloignée de la foi, livrée aux tourments de l'âme, au désordre des passions sans objet.
En faisant de l'inceste l'objet d'un récit au passé, Chateaubriand attire l'attention moins sur le fait lui-même que sur les désordres qu'il provoque au sein d'une conscience travaillée par le remords et la culpabilité. Il explore le lien entre la mélancolie et la conscience du Mal, entre le héros mélancolique et le héros maudit et dépasse le cadre de l'analyse psychologique de la mélancolie pour continuer de l'appréhender comme une maladie de l'âme, dont l'enjeu est d'ordre spirituel.
Le dénouement est assez complexe ; les conseils du missionnaire, donnés dans un contexte funèbre de rébellion et de disparition, restent sans effet. Non seulement René n'est pas guéri mais, surtout, il devient une figure légendaire, dont on montre le décor privilégié de méditation, particulièrement représentatif. La dernière phrase reprend tous les éléments de la tradition picturale de représentation du mélancolique : René est seul, en proie à ses pensées, assis sur un rocher, dans un décor crépusculaire, tel une icône.
Pendant tout le XIXème siècle, René a été un récit culte sur le mal particulier de cette époque. Chateaubriand a su donner à son personnage une portée universelle : René est devenu l'emblème de toute une génération désenchantée. En même temps, c'est assez malsain car cette apologie de l'état mélancolique, ancrée et encrée dans les esprits peut entrainer des dérives, surtout chez les lecteurs très sensibles.

C'est un texte que j'ai étudié il y a très longtemps pour la première fois et sur lequel je porte aujourd'hui un regard plus mature ; au collège ou au lycée, je voyais essentiellement un personnage insipide qui trainait un mal être qu'il était incapable de justifier. Depuis, j'ai eu l'occasion de mieux appréhender ce texte notamment au cours de reprises d'études universitaires… René synthétise à lui seul toutes les formes répertoriées de mélancolie : culpabilité face à la mort de sa mère à sa naissance, inquiétude amoureuse liée à l'éveil des sens, mal-être d'une aristocratie oisive et déconnectée du monde, insatisfaction du chrétien, imagination exacerbée qui empêche tout investissement dans la vie réelle…
L'inspiration de ce récit est sans doute très personnelle : l'auteur a donné son prénom à son personnage éponyme et on peut y lire la transposition de la complicité qui unissait Chateaubriand à sa soeur Lucile. Cette tentation incestueuse, thème littéraire à la mode au début du XIXe siècle, sert en filigrane de fil directeur à l'intrigue romanesque, à laquelle elle donne un parfum de scandale et une dimension sacrilège. Elle contribue également à la modernité du récit par l'écriture allusive à laquelle Chateaubriand a recours pour à la fois dire et ne pas dire la relation incestueuse : la parole est cryptée ; le lecteur doit déchiffrer, pour lire entre les lignes une passion interdite.
Chateaubriand met aussi dans René ses lecteurs en garde contre les travers d'une vie monastique sans réelle vocation religieuse, propices à des fantasmes destructeurs.


J'ai pris un réel plaisir à revenir aux sources de la mélancolie des grands héros romantiques grâce à ces deux récits, assez courts pour ne pas être trop rébarbatifs.
Relisons nos classiques, encore et toujours !

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