Citations sur Mémoires d'outre-tombe, tome 1/4 : Livres 1 à 12 (129)
Miséricorde ! où me fourrer ? qui me délivrera ? qui m'arrachera à ces persécutions ? Revenez, beaux jours de ma misère et de ma solitude ! Ressuscitez, compagnons de mon exil ! Allons, mes vieux camarades du lit de camps et de la couche de paille, allons dans la campagne, dans le petit jardin d'une taverne dédaignée, boire sur un banc de bois une tasse de mauvais thé, en parlant de nos folles espérances et de notre ingrate patrie, en devisant de nos chagrins, en cherchant le moyen de nous assister les uns les autres, de secourir un de nos parents encore plus nécessiteux que nous.
Contemplons avec vénération les siècles écoulés, rendus sacrés par la mémoire et les vestiges de nos pères ; toutefois n’essayons pas de rétrograder vers eux, car ils n’ont plus rien de notre nature réelle, et si nous prétendions les saisir, ils s’évanouiraient.
Il me reste de cette maison un agréable souvenir : notre enfance laisse quelque chose d’elle-même aux lieux embellis par elle, comme une fleur communique son parfum aux objets qu’elle a touchés.
L'instigateur du massacre des jeunes filles de Verdun, fut le poétereau régicide, Pons de Verdun, acharné contre sa ville natale. Ce que « L'almanach des Muses » a fourni d'agents de la Terreur est incroyable; la vanité des médiocrités en souffrance produisit autant de révolutionnaires que l'orgueil blessé des cul-de-jatte et des avortons: révolte analogue des infirmités de l'esprit et de celles du corps. Pons attacha à ses épigrammes émoussées la pointe d'un poignard. Fidèle apparemment aux traditions de la Grèce, le poète ne voulait offrir à ses dieux que le sang des vierges: car la Convention décréta, sur son rapport, qu'aucune femme enceinte ne pouvait être mise en jugement.
Notre existence est d'une telle fuite, que si nous n'écrivons pas le soir l'événement du matin, le travail nous encombre et nous n'avons plus le temps de le mettre à jour. Cela ne nous empêche pas de gaspiller nos années, de jeter au vent ces heures qui sont pour l'homme les semences de l'éternité.
je n'avais que dix-sept ans, et déjà tout le monde était passé pour moi.
j'aurai quelquefois voulu être ministre ou roi pour désoler mes ennemis, mais vingt-quatre heures après j'aurai jeté mon portefeuille ou ma couronne par la fenêtre.
à mesure que j'avançais dans la vie il se formait en moi un désir de bonheur que je ne pouvais ni régler ni comprendre: mon esprit et mon coeur s'achevaient de former comme deux temples vides sans autels et sans sacrifices, où l'on ne savait encore quel Dieu serait adoré.
Marat, comme le Péché de Milton, fut violé par la Mort : Chénier fit son apothéose, David le peignit dans le bain rougi, on le compara au divin auteur de l'Evangile, on lui dédia cette prière : " Coeur de Jésus, coeur de Marat, ô sacré coeur de Jésus, ô sacré coeur de Marat ! " Ce coeur de Marat eut pour ciboire une pyxide précieuse du garde-meuble. On visitait dans un cénotaphe de gazon élevé sur la place du Carrousel, le buste, la baignoire, la lampe et l'écritoire de la divinité. Puis le vent tourna : l'immondice, versée de l'urne d'agate dans un autre vase, fut vidée à l'égout. (Livre IX - Chapitre III)
Un caractère moral s'attache aux scènes de l'automne : ces feuilles qui tombent comme nos ans, ces fleurs qui se fanent comme nos heures, ces nuages qui fuient comme nos illusions, cette lumière qui s'affaiblit comme notre intelligence, ce soleil qui se refroidit comme nos amours, ces fleuves qui se glacent comme notre vie, ont des rapports secrets avec nos destinées.