Une connaissance même sommaire de pays comme l'Allemagne, l'Angleterre ou la France montre pourtant que les périodes les plus brillantes de laur histoire ont toujours résulté d'une capacité à aménager des espaces à l'abri des pressions de la demande sociale immédiate, des hiérarchies en place, et donc apres à accueillir de nouveaux talents sans distinction de classe, bref à abriter une aristocratie culturelle qui ne soit pas cooptée par la naissance ou l'argent.
Etre passé de la chair à cannon à la chair à consensus est certes un "progrès". Mais ces chairs se gâtent vite : la matière première consensuelle est essentiellement putrescible et se transforme en une unanimité populiste des majorités silencieuses, qui n'est jamais innocente.
La commande sociale de l’Ordre cyber-mercantile […] se montre très friand de tout ce cyber-bétail de « jeunes à baladeurs nomades et libres dans leur tête » un peu râleurs mais au fond malléables, facilement segmentables en tranches d’âge et en « générations », et donc gibier sociologique idéal pour les modes. Mais il faudra bien sûr éviter le gâchis et se limiter strictement aux besoins de la future neurocratrie et donc aux nécessités de l’embouche cybernétique : aller au-delà serait malsain, car veiller à la santé de chaque corps ou assurer une éducation soignée à chacun serait une atteinte à la liberté des cervelles et risquerait de compromettre l’ « autonomie et l’autogestion » des unités du cheptel.
Une société obligeant les voitures particulières à ne pas dépasser les 20 km/h, comme en rêve Ivan Illich, supprimerait à peu près sûrement les risques de mort. Mais elle ne serait plus à coup sûr une démocratie.
« Il existe dans l’homme moral abandonné à lui-même un point autour duquel toutes les passions, toutes les forces qui le dominent se font équilibre. Ce point est analogue à celui qu’on désigne dans les corps sous le nom de « centre de gravité » : je le nomme centre moral. »
Quételet
En cette fin de décennie, il y a bien un miracle de la Nuit, pour faire que l’Argent, la Mode, la Rue, le Journal et même l’Université s’étourdissent ensemble et conjuguent leurs talents en accouchant de ce paradoxe : un équilibre festif, aimable boudoir de la « société tertiaire de services » qui allait bien vite devenir celle de l’ennui, de l’esprit d’imitation, de la lâcheté et surtout celle du petit jeu de l’envie réciproque –« le premier qui se réveille envie l’autre ».
Les individus au sein du modèle libéraliste cahotique "ne sont que des grains de sable, des unités de convoitise, des boules de billard pathétiques se faisant la guerre, que chaque effort pour se différencier enlise encore plus dans une grande équivalence."
Il est grand temps de sursauter et refuser un destin de bétail cognitif en faisant plus de vagues et moins de vogue.
L'Homme moyen apparaît bien comme le produit d'une puissante ingénierie socio-politique ayant réussi à transformer ce que Marx appelait le "paysan libre d'Angleterre" en citoyen-panéliste, atome producteur-consommateur de biens et services socio-politiques.
postmoderne : Ce courant (cette « mouvance » ?) pourrait aussi s’appeler post-cynisme-post-industriel et même post-n’importe quoi désormais. On le définit comme ce qui regarde la « modernité en arrière » ou comme ce qui en brouille les cartes […].