De la même manière que le recouvrement de l'Alsace et de la Lorraine a pansé les plaies de la "débâcle", le siècle des totalitarismes a cicatrisé les égratignures du coup d'Etat. La grossièreté de nos mœurs politiques, leur attirail bling-bling surclasseront pour toujours la vulgarité présumée de la cour impériale. Napoléon III reparaît en champion des nationalités ; en homme fort par lequel aurait pu, dans la paix, arriver la démocratie... L'expédition du Mexique se justifierait presque, en contre-feu face à l'hégémonisme américain.
A ce train, on finirait par réhabiliter la plus fantasque de nos souveraines, et le plus lascif de nos monarques.
Longtemps après la défaite, liquéfié sur votre lit de mort, vous accrocheriez la manche du fidèle ami qui vous veillait : "Dis-moi, Conneau, nous n'avons pas été des lâches à Sedan?" Non, Sire, vous n'avez pas été lâche. On vous reprochera amèrement d'avoir livré la place et l'armée sans avoir tout tenté, et cela 'malgré l'avis des généraux indignés", proclamerait jusqu'en 1918- quel hasard ! - le Nouveau Larousse illustré. Mais non, Sire, pas lâche ; un peu faible, peut-être ; humain, plutôt. Vous l'avouerez plus tard : "On a prétendu qu'en nous ensevelissant sous les ruines de Sedan, nous aurions mieux servi mon nom et ma dynastie. C'est possible. Mais tenir dans la main la vie de milliers d'hommes et ne pas faire un signe pour les sauver, c'était au-dessus de mes forces [...] Mon cœur se refuse à ces sinistrés grandeurs." Cette faiblesse, précisément, fut votre ultime grandeur. Car cette décision inéluctable, vous l’avez prise en souverain. Ce serait votre dernier geste d'empereur, un geste déplorable certes, mais accompli au-dessus d'une mêlée illisible, au milieu d'élans contraires et de tiraillements aveuglants. Vous avez "vu" le désastre et pris, d’autorité, la décision de ne pas le consommer tout entier.
Ce 1er septembre se lève à peine, et déjà s'avance le cortège des désolations. Il n'est pas 6 heures quand une ambulance ramène en ville le maréchal de MacMahon méchamment blessé. Ange s'est immédiatement porté à son chevet : un éclat d'obus lui a emporté la fesse. Il a aussitôt confié le commandement au général Ducrot, qui depuis deux jours milite pour le retrait sur Mézières. Tout semble donner raison à Ducrot : à Mézières, où Palikao l'a fraîchement expédié en train, le corps d'armée du général Vinoy attend l'arme au pied ; d'autre part les wagons de vivres qu'on avait vus en souffrance à Carignan ont, presque par erreur, fini leur course là-bas - c'est ainsi qu'on manque de tout à Sedan. Ducrot sait ce qui lui reste à faire. Il n'empêche, ce changement de chef est un coup dur. Car voilà maintenant deux heures que l'on se bat. Des Bavarois se sont lancés à l'assaut de Bazeilles, un village prospère à trois kilomètres au sud-est de la citadelle. Pour le moment, les "marsouins" de la division d'infantene de marine du général de Vassoigne - on dit la "division bleue" en font du pâté-Mais pour combien de temps ?
...le vieil empereur redresse sa silhouette lasse et déjetée : "L'expérience que je viens de faire prouve que, chez nous, pour être respecté, le Pouvoir doit être un et fort!"
Napoléon III avait jadis répliqué : "Comment voulez-vous que les choses marchent dans ce pays? L'Impératrice est légitimiste; Morny est orléaniste; moi- même je suis républicain; il n'y a qu'un seul bonapartiste, c'est Persigny, mais il est fou."
Napoléon III avait jadis répliqué : "Comment voulez-vous que les choses marchent dans ce pays? L'Impératrice est légitimiste; Morny est orléaniste; moi- même je suis républicain; il n'y a qu'un seul bonapartiste, c'est Persigny, mais il est fou."
En cet été 1870, Napoléon III ne descend pas en enfer, il dévisse aux parois du précipice.
Ainsi, en moins de trois heures, alors que la bataille fait rage, l'armée française a connu trois chefs successifs; en moins de trois heures, elle a défendu des positions, qu'on lui a demandé d'évacuer, pour maintenant recevoir l'ordre de les reconquérir!
Qu'une voix s'éléve en faveur de la paix, qu'une autre réclame un supplément d'information, et l'hémicycle chavire aussitôt dans cette grandiloquence gallinacée que l'on peaufine chez nous jusqu'à l'extase.
La dégradation de l’état de santé de Napoléon III devrait de tout manière emporter la décision. Et c’est bien cette détresse qu’invoque en tout premier lieu le fidèle Franceschini Pietri. Le malade sombre dans une déchéance qui frappe d’effroi tout ceux qui l’approchent.