– Une entité maléfique voyage d'un monde à l'autre, dans l'infinité des dimensions qui s'entrecroisent au sein de l'Univers. La haine, la souffrance et la mort l'attirent comme le sang attire une lamproie. Et comme une lamproie, elle colle sa gueule à sa victime et la vide, jusqu'à ce qui ne reste plus rien… Elle existe depuis la nuit des temps, et sa puissance est incommensurable...
- Ils sont vraiment malades ces Américains... Des obsédés des flingues...
- C'est exact, commissaire ! Leur intention était de faire venir une entité d'un monde parallèle...
- Mais qui donc ? Qui ?
Le ricanement hautain d'Enrique Lopez retentit à nouveau dans la pièce :
- Signes cabalistiques de magie noire, évocation du nombre de la Bête de l'Apocalypse, cadavres en série...Vous pensez que c'est le petit chaperon rouge qu'ils voulaient inviter à goûter ?
Immanquablement, l'étude de la théologie conduit à s'interroger sur la nature du Mal.
Des années de réflexion m'ont permis de déterminer qu'il n'existe que deux possibilités.
Ou bien le Mal est un atavisme, une pulsion inhérente à la nature humaine, un besoin qui nous tenaille aussi fortement que la nécessité de boire et de manger. Toutes ses manifestations sont alors dues au hasard, elles ne sont qu'un tourbillon chaotique, incohérent mais inéluctable.
Ou alors le Mal est une force, une force obscure et consciente, qui guide nos actes vers un but précis, et les hommes ne sont pour elle que des pions dérisoires.
En vérité, il n'existe que ces deux options, et j'ignore toujours laquelle est la plus effrayante.
J’ai vu des hommes brûlés vifs, un pneu rempli d’essence passé autour du cou, des femmes et des enfants amputés à la machette de leurs pieds et de leurs mains, des prisonniers enterrés jusqu’au cou, sur les têtes desquels on faisait passer les chenilles d’un char. J’ai recueilli les témoignages des rescapés de centres de torture, de camps d’extermination, de villages livrés à la fureur des soudards. Plusieurs fois, en Haïti, au Rwanda, en Afghanistan, au Sierra Leone, en Bosnie, j’ai imaginé avoir atteint mon but. Mais toujours j’ai continué à couvrir de nouvelles guerres, et toujours j’ai découvert de plus grandes atrocités.
Maintenant je suis convaincu qu’il n’existe aucune limite à la barbarie humaine, qu’elle est pareille à un gouffre obscur, insondable. Pourtant, je continue à chercher, à quitter mon foyer dès qu’un conflit éclate, pour tenter de trouver le cœur des ténèbres, et pouvoir enfin remonter à la surface, revenir vers la lumière.
- Toutes les pratiques magiques peuvent se résumer à cela, Ange. Être capable d’ouvrir une porte entre notre monde et une autre dimension. Les devins, les augures, les aruspices ouvrent des portes sur le futur ; les médiums ouvrent des portes vers l’univers des esprits, les sorciers et les nécromanciens vers celui des démons. Et tout homme, à l’instant de sa mort, ouvre une porte vers l’au-delà.
Notre conscience supérieure, notre être global, ne connaît ni passé ni futur ; il existe dans un éternel présent, scindé en une infinité d’univers où se projette l’infinité de ses manifestations.