Citations sur Aux douceurs du temps (38)
Le citoyen républicains que je suis espère que ce même lecteur condamnera les massacres commis au nom d'une idéologie qui perdure encore aujourd'hui dans sa volonté de tout régenter.
_ Ne croyez-vous pas qu'à faire une lecture du Moyen-âge à l'aube du XXeme siècle on se trompe de regard?
Une bâtarde ! Le mot avait tourné dans sa tête durant la journée, la renvoyant à ces chiens qui traînaient dans les rues quand on ne les avait pas jetés au ruisseau au préalable, l’échine tombante comme s’ils se savaient marqués du sceau de leur origine. Elle avait voulu se convaincre que le déshonneur dont s’était rendue coupable sa mère était demeuré un secret bien gardé, mais elle se sentait cependant salie. Elle avait essayé de se persuader qu’elle avait vécu vingt et un ans de la sorte, dans une ignorance qui l’avait préservée, alors pourquoi sa vie devrait-elle en être brusquement changée ?
Juliette devinait, sous les couvertures hermétiquement jointes les unes aux autres, un foisonnement de savoirs, une avalanche de rêves, une abondance de voyages entraînant vers des rives inconnues. Elle aurait voulu tout avoir lu, tout avoir feuilleté, se doutant que sa minuscule personne ne pourrait qu'être écrasée sous tant de découvertes.
À avoir raté sa vie, sa seule exigence était de ne pas rater sa mort.
Elle tourna les talons, furieuse contre Rodolphe et contre elle-même. Si seulement, ce fameux soir du 3 janvier 1892, alors qu’elle rentrait dépitée du banquet des confiseurs, la porte entre les deux magasins s’était ouverte sur Rodolphe ! Elle avait tant besoin de réconfort que sans doute, s’il était venu la consoler par des gestes tendres, c’est à lui qu’elle se serait donnée… Elle se rappellerait toujours avoir guetté un mouvement du côté de la porte communicante. Mais c’est celle de l’atelier qui s’était ouverte, imprimant à sa vie une autre direction, et il ne pouvait être question de revenir en arrière.
Juliette le regardait avec une sérénité attentive et Gustave Marquand se surprit à penser que cette fille combinait beaucoup de qualités : pugnace sans être entêtée, décidée mais pas obtuse pour autant, et en même temps lucide sans faiblesse. L’épisode de la confiture sauvée de justesse avait renforcé une conviction que la débrouillardise de la jeune fille, au cours de toutes ses années d’emploi, avait fait naître peu à peu. Mais elle avait eu la prudence de rester à sa place, c’est-à-dire de ne pas profiter de l’expérience pour aspirer à un poste d’ouvrier confiseur. Il n’y avait pas de féminin à cette tâche et il lui avait su gré de ne pas chercher à prétendre de façon pérenne à un travail où elle ne pourrait jamais être employée.
— Détrompe toi, Juliette. Quand nous serons tous les deux aux portes de la vieillesse, nous nous retournerons sur ces premières années du nouveau siècle, et nous nous dirons, parce que nous voudrions les revivre : comme elles étaient belles…
- Vous offrez à l’auteur un cadeau très précieux, l’osmose entre votre âme et la sienne.
Cette croisade que s’apprête à célébrer la ville, c’est aussi ma croisade ! Ma croisade contre la concurrence, contre le mépris de mes confrères, contre le découragement qui me gagne parfois à me lever tous les matins à 5 heures et à travailler plus de quatorze heures par jour !
Dans la voix de Pierre, Juliette avait senti vibrer la peur. La peur d’être découvert, la peur d’être dénoncé, la peur de devoir payer sa fuite. Durant ces cinq longues années, où elle avait enduré l’humiliation d’avoir été abandonnée, la tristesse d’élever une enfant sans père, éprouvé du souci et de la peine pour Rodolphe, lui se cachait et n’exprimait à présent que de la peur ? C’était tout là l’homme qu’elle avait épousé ! Ses propres angoisses d’être confrontée à lui s’évanouirent aussitôt.