Citations sur Murnau des ténèbres (20)
En navigant vers le crépuscule, m'annonça Murnau, alors qu'il rangeait ses livres dans sa cabine, " nous partons à la poursuite de nos livres comme à la poursuite de nos rêves". Et je me souviens d'avoir renchéri, afin que son regard s'enflammât plus encore:"
Murnau exultait: il avait enfin la certitude qu'il parviendrait à ses fins - recréer le paradis. D'avant la corruption par les forces inéluctables de la civilisation.
Un visage aux traits encore juvéniles et déjà virils, comme rêvés par un peintre classique obsédé de rectitude: le front, large et droit, les sourcils marqués, le nez bien aligné, les narines rondes, en proportion de ses lèvres charnues, le menton volontaire, légèrement retroussé. Et, au-dessus de ses pommettes larges et hautes, des yeux de biche, rieurs et noirs, qui auraient pu être ceux d'une femme. Immédiatement, Murnau sut qu'il tenait là son premier rôle. Mehao, c'était son nom, embarqua avec nous quelques jours plus tard et ne nous quitta plus jusqu'à la fin... Murnau aimait les hommes, vous savez...
Nous ne pensons plus à nos livres et pourtant nous baignons dans l’écho lointain de leurs aventures. C’est que nous sommes désormais à la lisière du monde comme en son coeur, ni dans la fiction ni dans le réel familier, mais dans une zone frontalière où tout a l’épaisseur du rêve, et tout a la puissance du cosmos.
Les jeunes hommes vigoureux, aux corps olympiens, plongeaient en virevoltant et ressortaient de l'eau en riant, tenant dans leurs mains des poissons étincelants, tandis que d'autres, comme si c'était un jeu, sautaient entre les vagues, d'une roche à l'autre, un harpon tendu au-dessus de la tête, comme les lanceurs de javelot des stades antiques, et pêchaient avec élégance et précision. L'un d'eux jaillit de l'écume en tenant un gigantesque poulpe ruisselant de lumière, qu'il brandit comme un trophée vers le soleil. A la force de ses bras noueux, il en arracha un des longs tentacules qu'il dévora cru, avec un sourire hilare et repu.
- nous avions tellement rêvé, à la lecture des grands récits fantastiques de nos prédécesseurs, nous avions tellement rêvé l'aventure que le monde se trouvait sommé d'en être à la hauteur.
Comme dans les contes fantastiques, nous traversons des forêts d'arbres fantômes, les mape, dont le tronc immense s'évase vers le sol en longues traînes voilées, parfois hautes et larges de plusieurs mètres, comme des contreforts aux courbes fluides - toujours étranges et inattendues, sensuelles et puissantes. On croirait des mages dont la longue tunique flotterait au vent.
Le satanisme était nourri de science. Vaincre la mort, recréer la vie, abolir le temps: toutes les promesses de la modernité étaient les promesses de Satan.
Le cinéma, c'est 24 images par seconde. Et entre chaque image, 24 fois une ligne d'ombre. Blanc, noir, lumière, ombre. 24 fois par seconde. C'est ce clignotement, ce scintillement dans le noir qui prend origine dans la camera oscura, la chambre noire, qui recrée l'illusion de la vie qui est proprement luciférien - lucifer, en latin, qui est porteur de lumière, n'est-ce pas une manière de décrire le projecteur, dans les salles obscures, d'où jaillit la lumière des simulacres- les fantômes diaboliques de nos rêves les plus inavouables?
Il n’y a pas de mal s’il n’y a pas de je, le mal apparaît avec l’individuation, l’ombre et la lumière, lorsque apparaissent les lignes qui séparent et définissent les êtres et les choses. Il n’y a de mal que lorsqu’on se coupe du Grand Tout.