Nicolas Chemla nous emmène dans les mers du sud. Il a pris pour guide le réalisateur de Nosferatu, Friedrich Murnau. On pourrait s'étonner d'un tel choix, on a tort car : « plus la lumière est intense, plus l'ombre est profonde ». D'ailleurs, « le cinéma est le langage des ombres ».
À l'exemple de pierre Loti (et sa Rarahu « Ces splendeurs et cette tristesse ont été créées pour d'autres imaginations que les nôtres »), d'
Herman Melville (
Taïpi), de Matisse, de Gauguin ou, plus près de nous, de
Jacques Brel (Ils parlent de la mort / Comme tu parles d'un fruit / Ils regardent la mer / Comme tu regardes un puits), Murnau recherche une lumière plus intense, une terre encore plus vierge. « Murnau rêvait toujours d''un ailleurs, dans sa mélancolie »
Murnau est étranger à cet Hollywood balbutiant : « une bande de forains vulgaires qui avaient fait fortune sur la côte Est avec des machines à sous diffusant des images plus ou moins cochonnes ».
Murnau a le projet d'un film intime et ultime, Tabou, dans lequel il raconte comment la civilisation occidentale a tué l'innocence (p70, p82, p95, p110, p151) en inventant la pudeur, la culpabilité et la nécessité. La civilisation occidentale et son mauvais génie, la science : « Vaincre la mort, recréer la vie, abolir le temps : toutes les promesses de la modernité étaient les promesses de Satan ». D'ailleurs, Lucifer signifie « porteur lumière » en latin.
Le livre de
Nicolas Chemla est envoûtant, érudit, intelligent, à la mesure de cette grande figure du cinéma mondial dont le seul tort a été de croire que son art était plus sacré que la nature des îles qu'il admirait. La légende veut qu'il ait payé de sa vie son impudence.
Bilan : 🌹🌹