AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de zenzibar


Un livre sur la beauté
Le culte du beau, dans l'air du temps, n'est certes pas nouveau ; à la cour des rois de France, au Louvre ou à Versailles, le respect de « l'étiquette », l'adoption de la magnificence du dispendieux apparat, pour tenir son rang, étaient les contreparties des largesses de la monarchie absolue.
Mais aujourd'hui, l'omni présence de l'image, l'efficacité des outils médiatiques de masse donnent un hyper pouvoir universel de tous les instants aux standards de la mode et de la beauté.
Il faut plaire, séduire son futur employeur, le client, l'électeur... Il y a aussi ces « speed dating » où il faut emporter l'affaire en 5 mns pendant lesquelles une veste non griffée à la bonne marque, des rides imparfaitement masquées peuvent être fatales… « game over »..
L'apparence règne en maitre absolu et fait notamment le bonheur du scalpel esthétique. L'enveloppe charnelle est réputée refléter l'intérieur, un esprit sain dans un corps sain. ..
Cette connexion beauté plastique/perfection morale n'est pas non plus nouvelle. Dans la Grêce antique, la statue d'Hermès sur le site d'Olympie de Praxitèle, par exemple, ou les oeuvres de Phidias sont présumées avoir arrêté à cet égard les normes esthétiques. Platon, dans son pétillant Banquet, considère que l'amour physique de deux corps, parfaits d'un point de vue plastique, constitue la première étape vers la perfection spirituelle. On relèvera accessoirement que cet idéal fonctionne dans le cadre de l'homosexualité masculine et la contradiction pour le moins paradoxale avec le cas Socrate, le maitre de Platon et dont Alcibiade chante les louanges dans ce Banquet ; Socrate était, parait-il, très laid. Enfin passons...
Beaucoup plus tard, mais dans le même esprit normatif Kant affirme pour sa part « est beau ce qui plait universellement sans concept ».
En réalité, et en faisant encore référence à Platon, tout se passe comme si nous étions de nouveau enfermés dans sa fameuse caverne où les seules images accessibles, en dépit de leur plasticité parfaite en surface, seraient des ombres d'idoles en 2D incertaines, déformées.., ces simulacres de la complexité de la richesse de la beauté.
La beauté disparait derrière le déluge du numérique, les extravagances d'une Lady Gaga et il n'y a (presque) plus de place pour l'émotion d'un visage comme celui d'Aung San Suu Kyi. C'est Cyrano que l'on assassine lâchement une seconde fois, les honneurs sont inaccessibles sans des traits sur papier glacé.
Et l'appel d'André Breton, « la beauté sera convulsive ou ne sera pas » semble nous parvenir comme la lumière fossile du big bang.
Nous nous sommes éloignés du livre, pas tant que cela, car l'intérêt de cet essai « oeil ouvert et coeur battant » est encore plus marqué en ayant rappelé ce contexte si prégnant. François Cheng nous offre des clés pour s'ouvrir à une autre beauté, la redécouvrir, sans pour autant rompre complètement avec certains standards rappelés.
Ce livre est un vrai bonheur, d'abord au niveau formel. Il s'agit de discours prononcés à l'Académie française et au Collège des Bernardins retranscrits qui n'ont rien… d'académique.
L'auteur parle avec sa sensibilité, dans un style très personnel, bercé de lyrisme. La mise en page est bien faite, les discours dans leur présentation sont fractionnés dans des feuilles aérées qui rendent leur lecture et relecture par séquences plus confortable, un appel sinon à la méditation au moins à la réflexion. de plus, quelques très belles illustrations de peinture chinoise accompagnent le propos.
François Cheng développe une analyse qui constitue, sous un certain angle, un renversement des principes platoniciens ou de l'aphorisme martial du philosophe prussien évoqués précédemment.
Le sage part de l'intériorité de l'être en chantant son unicité, chaque être étant toutefois connecté en un immense réseau par lequel ne cesse de vibrer le souffle de l'infini. C'est cette unicité fondamentale qui est fondatrice de beauté ; chaque être vivant est unique, chaque être humain dispose d'une capacité à la beauté et éprouve un désir de beauté. A cet égard, il n'y a pas une universalité abstraite qui s'imposerait à tous, un quasi impératif esthétique, fort heureusement, serait-on tenté d'ajouter. Il ne s‘agit pas de tomber dans un subjectivisme, simplement d'affirmer que la beauté est une émotion permise par l'unicité, une révélation intérieure. La révélation de la beauté donne sens à la vie, tout particulièrement lorsque l'existence devient harmonie, communion, amour.
Cette beauté permet de transcender les conditions souvent tragiques de l'existence humaine ; à cet effet l'homme doit se mettre dans une position d'accueil pour être à même de rencontrer la beauté.
François Cheng distingue et hiérarchise les différentes beautés. La beauté du non vivant, le minéral naturel et les objets créés par l'homme, est formelle, tandis que celle des êtres vivants est physique.
Au-dessus de ces beautés faciales, la beauté de l'âme constitue l'expression la plus pure de la beauté.
Cette dernière catégorie est réservée aux hommes touchés par un éveil spirituel.
Cet éveil donne aux êtres touchés par cette transcendance une beauté encore plus singulière, plus émouvante, plus durable. C'est cette même beauté qui accompagne les amoureux, la présence de l'être aimé(e) exaltant les capacités à la beauté et à la bonté.
L'artiste à travers sa création permet aussi, comme le vit le sage, d'offrir une lumière et une beauté suprêmes, rencontre du monde sensible appréhendé par la sensibilité de l'artiste et de son propre univers, y compris ses pulsions les plus sombres. L'oeuvre d'art est beauté charnelle et spirituelle. L'âme de l'artiste est à la base de la création au delà de la technicité et du talent. L'auteur ne les cite pas, mais on pourrait évoquer ces fresques souterraines de Lascaux ou des grottes Cosquer et Chauvet qui semblent particulièrement en résonnance avec le propos. Même si les significations de ces oeuvres sont à jamais scellées, la rencontre de la virtuosité artistique absolue et de l'élan spirituel anime à l'évidence ces créations.
Oeil ouvert et coeur battant, c'est l'âme du petit personnage dans cette peinture chinoise. Il ne s'impose pas au premier plan comme dans les tableaux classiques de la tradition occidentale mais il accueille le souffle de la voie, reçoit la beauté qui transporte à son tour l'observateur attentif.
En conclusion, même si le lecteur n'est pas obligé d'adhérer au postulat de l'auteur, pour lequel, fondamentalement, l'univers n'est que beauté et que tout ceci n'est pas le fruit du hasard, cette oeuvre est un magnifique hymne à la beauté, à la croisée de l'occident et de la sagesse d'extrême orient, qui prolonge admirablement les très belles « cinq méditations sur la beauté » du même auteur.
Commenter  J’apprécie          192



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}