L'Auberge volante

Les rassemblements sur la plage étaient devenus rapidement plus minces à mesure qu'approchait l'heure du thé. Avec le soir, l'Ouest devenait de plus en plus clair, jusqu'à ce que le soleil parût disparaître derrière la mer vert pâle, et ne briller qu'à travers une mince cloison de cristal. La transparence même du ciel et de la mer pouvait bien avoir aux yeux de cette fille, pour qui justement la mer était ensemble romance et tragédie, le sens d'un lumineux désespoir. La montée d'un mur d'émeraude accompagnait la chute lente du soleil, mais le flot de la sottise humaine ne cessait de couler, pour toujours...

« Ayez pitié d'un exilé », dit Dalroy humblement. « Je ne sais pas ce qui fait le plus mal, les choses qu'on oublie, ou les choses qu'on se rappelle. »

Pour finir, mais cela faisait beaucoup, s'étaient précipités tous les gens qui pensent que, pour résoudre un problème dont ils ne comprennent pas le sens, il suffit d'abolir tout ce qui est à son origine. Nous connaissons tous des gens comme cela. Si un coiffeur a coupé la gorge de son client parce que sa bonne amie a changé de cavalier ou de compagnon pour une promenade à âne à Hampstead Heath, il se trouve toujours des gens pour s'en prendre aux institutions qui nous ont menés là. Ce ne serait pas arrivé si la profession de barbier était supprimée, s'il n'y avait plus de couteliers, ou si l'on en finissait avec la répulsion qu'éprouvent les jeunes filles pour les barbes mal faites, ou si l'on interdisait les jeunes filles, la lande et les espaces verts ; et si l'on supprimait la danse ; ou si l'on supprimait les ânes. Mais avec les ânes, je le crains, on en finira jamais.
Il y en avait tout plein d'ânes de cette sorte sur le commun de cette controverse particulière. Quelques-uns en tiraient argument contre la démocratie parce que le pauvre « Gage » se trouvait être charpentier. D'autres en tiraient parti contre l'immigration étrangère parce que Mysisra Ammon était Turc. Quelques-uns proposaient que les dames ne fussent plus admises à quelque conférence que ce fût, parce que leur présence avait été la cause de quelques légères difficulté à celle-ci, bien qu'il n'y eût aucune faute de leur part. Certains exigeaient l'abolition des stations balnéaires, ou même de toutes les vacances. Quelques-uns dénonçaient l'action de la mer et de ses côtes ou, plus généralement encore, proposaient de repousser la mer. Tous affirmaient que si ceci ou cela, les pierres ou les algues, les visiteurs étrangers ou le mauvais temps, ou les cabines de bain étaient balayés d'une forte poigne, ce qui était arrivé ne serait pas arrivé.

On peut mélanger les choses jusqu'à un certain point, on peut les déformer jusqu'à un certain point ; mais au-delà, vous en perdez l'identité, et avec cette identité, vous perdez tout ; vous ne savez plus de quoi vous parlez.

Le théoricien qui fabrique une théorie nouvelle pour rendre raison d'un événement nouveau n'est pas très dangereux. Mais le théoricien qui part d'une théorie fausse, et regarde ensuite toute chose comme uniquement propre à la vérifier, est le plus dangereux ennemi de la raison humaine.

Il y a deux sortes d'idéalistes, chacun le sait, ou devrait y avoir pensé : il y a ceux qui idéalisent le réel, et ceux qui - extrême et précieuse minorité - réalisent l'idéal. Les gens de tempérament artistique et poétique, comme les anglais, idéalisent le réel, en général.

Mais ce que je suis en train de dire, c'est que la consommation de liqueur fermentée convenable est, tout simplement, le triomphe du végétarisme.

L'ennui, c'est que les nobles familles où l'on ne veut pas manger de viande sont celles où l'on ne veut rien manger du tout. L'homme appelé végétarien, bien reçu à Ivywood house, est en général du genre de la vache qui voudrait tenir un jour entier avec une touffe d'herbe.

Déjà le matin blême s'était réchauffé et avait passé au bleu pâle, égayé de petits nuages roses - qui sont surement à l'origine de la légende que les cochons pourraient bien voler.

Pour celui qui ignore tout du roman de G.K. Chesterton The Flying Inn, les observations précédentes appellent cette explication : le sujet de cet extraordinaire roman - sans doute le seul roman proprement dit de son auteur - est une secrète invasion de l'Angleterre par l'Islam, un de ses "sectes", ou l'une de ces entreprises, à la fois militaire et médiatique ... L'entreprise dirigée contre l'entité nationale et les valeurs d'Albion repose sur la complicité, et pour une part essentielle, l'initiative et la folie froide d'un aristocrate terrien et puissant parlementaire, lord Ivywood ; elle échouera, non sans une fantastique bataille sur le domaine d'Ivywood, une émeute populaire et une marche guerrière de forme plus onirique qu'historique, mais essentiellement conforme à la menace et à la conspiration qui font l'objet comme la vraisemblance du roman.