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Critique de Nemorino


C'est un livre intemporel que je tiens dans mes mains. Je l'ai lu il y a environ quinze ans, juste après la sortie du film du même nom. Je devais visiter un malade et les librairies du grand hôpital parisien étaient inondées de ce best-seller. C'était une vision assez surréaliste : la jeune fille à la perle en miniature et multipliée par mille ! Comme sur une planche contact.
Quand un grand artiste, un génie, entre dans votre vie, vous êtes happé. Il a pour vous l'autorité d'un roi et la force du destin. C'est une sagesse que de l'aimer, c'est un suicide que de se rebeller. Cette idée, à mon avis, réunit tous les livres écrits sur les peintres et leurs modèles.
Je n'oublierai jamais l'exposition à la Pinacothèque de Paris consacrée à l'âge d'or de la peinture hollandaise. D'ordinaire j'aime la peinture moderne parce que j'aime inventer en regardant tandis que les oeuvres plus anciennes sont « données », il n'y a pas de « participation » des visiteurs, pas autant en tout cas. Mais là j'ai été littéralement bouleversée par les portraits hollandais, la brillance des regards, la lumière dans les natures mortes… On dirait que dans le citron pelé il y avait la même larme que dans les yeux !
Finalement je sens que Vermeer ne me quitte jamais, il y a des signes, des hasards, des clins d'oeil à Vermeer que je rencontre régulièrement. Même Sempé fait une révérence à La Laitière ! Chez moi, sur les pochettes de disques de la musique baroque il y a souvent des reproductions de ses différentes peintures. À mes yeux, il y a encore un atout pour l'histoire de la Jeune fille à la perle : dans le film c'est Colin Firth qui joue Vermeer. C'était déjà mon acteur préféré depuis son rôle de Monsieur Darcy dans la série Orgueil et Préjugés de la BBC en 1995, bien avant de jouer dans la saga Bridget Jones et bien avant de remporter l'Oscar du meilleur acteur et le Golden Globe en 2011 ! Colin Firth donne une fidèle interprétation de Vermeer. En ce qui concerne Scarlett Johansson je trouve qu'elle rend Griet plus sexy qu'elle n'est dans le roman.
La jeune fille à la perle est un roman historique écrit en 1999. L'action se déroule à Delft aux Pays-Bas au XVIIe siècle, et le récit a été inspiré par le tableau homonyme du peintre Johannes Vermeer. Tracy Chevalier a imaginé l'histoire qui a conduit à la création de ce chef-d'oeuvre. L'histoire débute en 1664, à l'époque de l'âge d'or de la peinture hollandaise. le roman est écrit à la première personne. Griet est une jeune fille fine et candide. Sa famille est enfoncée dans la précarité. Son père était faïencier, fabriquant de porcelaine de Delft (faïences blanches à décor bleu), mais il perdit son commerce à cause de l'explosion d'un four, l'accident qui l'a rendu aveugle. La mère de Griet s'inquiète pour la survie de la famille. Elle fait engager Griet comme servante dans la maison de Johannes Vermeer pour faire le ménage dans l'atelier du peintre. Vermeer, appréciant la discrétion et le potentiel artistique de la jeune fille, lui fait découvrir les b.a.-ba de son art. Leur affinité va entraîner de nombreux tiraillements au sein de la maison des Vermeer, ainsi que des bruits qui vont se colporter en ville. Mais que reste-il de Griet du début du livre, de Griet qui idéalise tant Vermeer ? Va-t-elle accepter l'amour de Pieter, fils de boucher, qui immédiatement séduit par sa beauté et son caractère, lui fait la cour pendant de longs mois ? Pieter qui lui propose de l'épouser si elle quitte sa place de servante des Vermeer ?
Johannes Vermeer a 32 ans quand débute l'histoire. Auparavant, il a passé six ans en apprentissage et a été ensuite admis en tant que « maître peintre ». Ensuite Vermeer se convertit au catholicisme en épousant Catharina Bolnes, issue de la bourgeoisie de Delft. Il est installé avec sa femme chez sa belle-mère Maria Thins, une femme perspicace et commerçante, au coin des papistes de Delft. Son tableau La Jeune Fille à la perle est estimé remonter à l'année 1665. van Ruijven est le mécène de Vermeer, riche percepteur de Delft. Il lui commande beaucoup de ses oeuvres. van Ruijven regarde Griet avec concupiscence…
Catharina Bolnes est impulsive, jalouse, idiote, maladroite, elle a détesté Griet depuis le premier jour. Catharina a un jour renversé et cassée la camera obscura, une boîte pourvue d'une lentille, permettant au peintre d'observer sa mise en scène différemment ! Vermeer ne lui demande pas de poser et même lui interdit d'entrer dans son atelier. le jour où rongée de soupçons elle y pénètre c'est pour le salir car, prise de colère, elle accouche sur le plancher !!!
J'adore le trio de l'univers de Griet : cuisine, ménage et peinture. le trio qui n'est pas si étrange que ça. En tout cas, qui ne m'est pas étranger ! Je m'identifiais avec Griet. En commençant déjà par la jolie découpe de légumes au tout début du livre ou par sa perception imagée des voix! J'aime ce livre parce que j'ai l'impression d'y reconnaître des personnes de ma propre vie. J'ai eu l'occasion de relire ce roman plusieurs fois. La restitution de l'époque, du travail quotidien de Vermeer, une parfaite concordance historique, très belles descriptions, tout cela constitue encore une des richesses du livre. Plusieurs quartiers ou monuments de Delft sont évoqués : le coin des papistes ( le quartier catholique où se trouve la maison des Vermeer), la place du Marché ( place principale de Delft, au centre de laquelle les pavés forment une étoile à huit branches, chacune pointant vers un quartier de la ville), le quai le long du canal de Delft, la Nouvelle-Église protestante… Chez Tracy Chevalier, chaque détail est expressif et significatif. Dans ce roman, il y a tant de choses techniques liées à la peinture que je me suis demandée si Tracy Chevalier était elle-même artiste peintre. Mais sa biographie ne mentionne pas d'études d'arts plastiques. J'ai seulement appris qu'elle est fille d'un photographe et elle a dû approcher cette écriture de la lumière qui est la photographie.
J'aime des écrivains qui savent décrire l'invisible. Par exemple, Nabokov en fait partie. Et Tracy Chevalier utilise ce procédé dans La jeune fille à la perle, l'unique oeuvre que j'ai lue d'elle. le lecteur est chauffé à blanc et pourtant il ne se passe presque rien, et c'est beau comme les tableaux de Vermeer eux-mêmes… C'est la résignation… Mais comment vivre comme si de rien n'était alors que Griet traverse des épreuves, tait ses sentiments, étouffe ses dons ?
Et Vermeer, a-t-il aimé notre héroïne ou non ? C'est la question qui obsède le lecteur jusqu'à la fin du livre. Peut-être que la vision idéaliste de son maître cache à Griet la réalité toute plate : qu'il ne pense qu'à lui-même ou à son travail, qu'elle n'est qu'un accessoire qu'il jettera une fois le tableau terminé ? Cette idée se révèle juste puisque Vermeer s'abstient de la défendre devant Catharina, et que, après le départ de la servante, il ne vient jamais vers elle… Mais on a envie comme Griet de croire le contraire ! La réponse est peut-être dans les perles ? le roman de Tracy Chevalier nous laisse beaucoup de pourquoi mais c'est cela qui fait qu'on le relit avec la même fraîcheur de perception et la même curiosité. le destin ne fait pas de cadeaux à Griet et l'auteure ne flatte pas le lecteur qui au fond de lui aimerait que l'amour triomphe si ce n'est dans un lit à baldaquin au moins caché dans un grenier, dans un champ, dans un atelier. (On pourrait écrire un deuxième roman avec le point de vue du peintre. Avec ses sentiments à lui, ses ressentis à lui, ses peines, ses frustrations. Sous le masque d'un personnage froid et peu bavard !) Dans la voie de chacun, il y a des relations qui laissent des questions et on a le reste de notre vie pour y méditer : on pèse et on repèse, et on change la lumière pour mieux voir…
Cependant il ne faut pas oublier qu'au 17 siècle l'homme était lié par le protocole qui organisait toutes ses relations et le goût du scandale n'existait pas, pas encore. La morale, la religion ne nous donnent pas toujours des réponses universelles et nos choix sont pénibles. La liberté n'est pas de ce monde. Ce n'est que l'art qui peut libérer, peut-être… Toute la force du livre est là.
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