Le numéro un

La calomnie est une grave accusation aux États-Unis, le rêve de tout avocat, pas la peine de te faire un dessin. Le problème, c’est que tu ne possèdes pas de preuves suffisantes ni surtout de témoin qui puisse être présent. Les journalistes, je l’espère, seront intéressés, ce qui devrait déjà réduire le danger. Mais ce n’est pas suffisant pour que l’affaire aboutisse devant les tribunaux.

J’ai décidé que tu devais connaître mon histoire. Pour la seule raison qu’elle est désormais aussi la tienne. Et qu’elle constitue une menace. Mais je ne peux pas te dicter la manière dont tu dois réagir. Je peux seulement te donner des conseils. Que tu es libre de suivre. Ou d’ignorer. Ainsi que tout ce que tu viens d’apprendre.

Certaines personnes, et selon moi il y en a plus qu’on ne pourrait croire, sont au courant de ces affaires. Et il s’agit de les contrôler. Sévèrement, compte tenu de l’importance des enjeux. Je suis l’une de ces personnes. On m’a généreusement payé à l’époque et on m’a ordonné de me taire. Ce que j’ai fait pendant de nombreuses années.

Tous désirent la même chose : évacuer leur argent le plus loin possible des frontières de leur mère patrie, le cacher dans un endroit discret et le faire travailler à leur profit. Ils viennent nous voir pour résoudre ce problème.

Quand énormément d’argent passe entre tes mains, tu dois forcément faire preuve d’attention. Pas tant parce qu’il s’agit de sommes colossales, mais à cause de l’identité de leurs propriétaires.

L’une des filles me demande un jour : pourquoi tu te soûles à mort comme ça ? Je lui dis que c’est pour oublier. Elle me propose : tu veux sniffer un rail avec moi ? Donne-moi de quoi et je m’arrange pour qu’on apporte ce qu’il faut. J’ouvre la bouche pour dire « oui, fais vite... » pour la refermer aussitôt. La pensée me vient que si ça s’avère efficace, je cesserai de me souvenir de leur réveil, de leur petit déjeuner...

Quand j’avais à peu près ton âge, j’ai enfreint la loi. C’est difficile à concevoir, mais essaie tout de même. Il y avait une loi en Union soviétique qui interdisait aux gens de vendre librement ce qui leur appartenait. Ils ne pouvaient le faire qu’en passant par des magasins d’État à des prix sévèrement contrôlés. Les gens contournaient cette loi, il existait un marché noir.

Pour une somme dérisoire, soit dit en passant. Mais là n’est pas la question. Ils ont ajouté qu’en cas d’entêtement ils disposaient d’autres moyens de persuasion, plus directs et plus grossiers.

Prague et toute forme de nourriture grasse, salée, épicée et nocive devenue particulièrement désirable ces derniers temps : une fois à New York, Ioulia n’a rien eu de plus pressé que de s’enticher, à mon grand dam, d’un régime de plats sains à base de produits bio. J’avoue même que je me languis des chansons de cabaret et de l’atmosphère de fraternité alcoolisée : rien à faire, mes racines ne me lâchent pas.

Seul un fou dépenserait autant d’argent pour une histoire imaginaire. Et pour ce qui est de la police, des tribunaux et des avocats, il a eu raison de s’abstenir. En Russie, quand on a des problèmes, on ne s’adresse pas à la police ni au tribunal.