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Critique de Roupille


Ma rencontre avec Ted Chiang s'est d'abord faite au cinéma, par le biais de l'adaptation de l'une de ses nouvelles ; adaptation qui deviendra l'un de mes plus gros coups de coeur SF au cinéma ces dernières années. Il fallait donc que je m'intéresse de plus près aux textes de Ted Chiang, et c'est désormais chose faite.

Pour les profanes, Ted Chiang est informaticien, et nouvelliste SF à ses heures perdues. Si l'on peut difficilement le qualifier de prolifique - moins d'une vingtaine de nouvelles en trente ans et… c'est tout ! -, le bonhomme est tout de même parvenu durant sa carrière à remporter presque plus de trophées que n'a eu de vies Billie Milligan (et c'est vraiment beaucoup).

L'ensemble de ses 17 premières nouvelles a été publié dans deux recueils : La Tour de Babylone - auquel nous nous intéressons aujourd'hui-, en 2002, et Expiration, en 2019. Autant clarifier tout de suite : on est ici dans ce qu'on appelle de la "hard-SF", c'est-à-dire une science-fiction plausible, documentée, qui propose une exploration des potentialités souvent passionnante, mais écrite avec à peu près autant d'émotions qu'une thèse de 857 pages sur la cohomologie quantique. Sentimentaux, passez votre chemin ! Encore que…

Si l'on décide de prendre un peu de hauteur, derrière l'aspect scientifique parfois dense (le mot est faible) de ses nouvelles, on sent poindre les obsessions de Chiang pour des thématiques foncièrement humaines : le libre arbitre et le rapport de l'humain aux intelligences artificielles.

Son premier recueil s'ouvre sur La Tour de Babylone (1990), joli conte philosophique dans lequel on peut s'interroger sur le sens de la vie. L'aspect scientifique est - pour une fois - en retrait, et la plume se fait presque poétique, rendant cette introduction à l'univers de Chiang très agréable à lire.

La nouvelle suivante, Comprends (1991), avec l'histoire d'un homme qui reçoit un traitement expérimental permettant de décupler ses capacités intellectuelles, évoque Des Fleurs pour Algernon. Mais là où le chef-d'oeuvre de Daniel Keyes est une merveille d'écriture, véhiculant énormément d'émotions, la nouvelle de Chiang, plus froide, essaie d'explorer les choix offerts à ceux qui se verraient dotés d'un potentiel intellectuel hors normes. Moins émouvant mais brillant et absolument passionnant.

Dans la troisième nouvelle, Division par zéro (1991), Chiang nous présente une mathématicienne dont les conclusions l'amènent à remettre en cause les fondements des mathématiques… et donc de sa vie. Encore là, on effleure le grand texte, simplement limité par cette écriture toujours trop froide pour s'attacher à ce personnage dont toutes les croyances volent en éclat.

Arrive ensuite le chef-d'oeuvre de ce recueil. Enfin… ce qui aurait dû être le chef-d'oeuvre du recueil, avec une plume plus humaine. Dans L'histoire de ta vie (1998), une linguiste, en entrant au contact d'une intelligence extraterrestre, découvre une nouvelle forme de langage qui chamboule totalement sa perception de la langue et du temps. La question posée ici est bouleversante, mais passe légèrement au second plan face aux interrogations scientifiques de Chiang. Un grand texte, néanmoins, sublimé par un immense film (coeur sur toi, Denis Villeneuve)

Soixante-douze lettres (2000) nous propose une réflexion à la fois scientifique et religieuse passionnante quoique peut-être un peu simpliste - étonnamment - quant à son approche sociétale.

Après un très court et anecdotique L'évolution de la science humaine (2000), l'avant dernière nouvelle - L'enfer, quand Dieu n'est pas présent (2002) - embrasse pleinement la question religieuse et interpelle sur la foi et le poids des croyances dans la vie des pratiquants (ou non).

Enfin, le recueil se termine par Aimer ce que l'on voit : un documentaire (2002), très chouette exploration de la question du paraître et des implications d'une technologie qui permettrait d'inhiber la perception de la beauté. Plus abordable scientifiquement, cette dernière nouvelle offre une conclusion formidable à un premier recueil aussi hétéroclite qu'exigeant.

Ted Chiang est fait pour toi si… tu aimes les maths, les ordinateurs, les robots, la physique quantique et les équations différentielles stochastiques. Un peu moins si tu es plus câblé "empathie et sentiments", encore que l'auteur a tendance à s'humaniser au fil des ans. Au final, ne pas lire Ted Chiang, ce serait surtout passer à côté de réflexions qui, si la forme peut parfois rebuter, sont toutes absolument passionnantes.

J'ai aimé :

- Certaines idées de génie

- Certaines nouvelles proches du chef-d'oeuvre

- de vraies réflexions scientifiques, éthiques et sociales, avec les questions du libre arbitre et du rapport de l'humain à la science en fil conducteurs.

J'ai moins aimé :

- Une écriture souvent très froide qui peut rebuter

- L'aspect scientifique qui prend parfois trop le pas sur les émotions
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