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Critique de Kirzy


Kirzy
19 novembre 2023
°°° Rentrée littéraire 2023 # 45 °°°

Camille, la narratrice de 48 ans, est médecin légiste. On fait sa connaissance lors d'un sidérant premier chapitre qui fait écho à un sordide fait divers de juillet 2022 : après la découverte d'un charnier au Centre du don de corps de l'université de médecine Paris-Descartes ( des corps démembrés, entassés dans des conditions de conservation indignes ), c'est un trafic d'organes qui se dessine. Camille est sous le choc - le lecteur aussi - comme une annonce des révélations à venir sur sa famille qui vont ébranler ses certitudes et bouleverser sa vie.

« Je regardais les immeubles, la foule. Je vis soudain toutes les maisons de verre et d'acier, et avant cela de pierre, et avant cela de brique, et avant ce la de torchis et de bois, qui avaient été construites là. Et, sous le bitume, la terre gorgée de larves et de feuilles, de rêves héroïques, de sang, et d'ossements. Il ne faut jamais mentir à personne, me dis-je en contemplant un masque chirurgical usagé qui gisait à mes pieds. A personne, sauf peut-être aux gens qu'on aime. »

Les parents de Camille, lui célèbre médecin légiste, elle généraliste, décédés lors d'un accident de plongée, lui ont beaucoup menti. Ou plutôt, ils lui ont caché beaucoup de choses. Il est temps pour Camille D explorer la part d'ombre de ses légendes familiales avec lesquelles elle a grandi et s'est construite.

La première partie surprend par sa description enlevée du quotidien d'un médecin légiste, teintée d'une ironie feutrée et d'un certain humour qui n'excluent pas l'émotion ( magnifique scène où Camille mange des chocolats avec la maman d'un fils dont elle a autopsié le corps ). On sent qu'il y a un mystère à résoudre, on est surpris par ces références à Goya qui détonne ... avant de se rendre compte que l'énigmatique titre du premier chapitre ( Les Désastres de la guerre ) est celui d'une oeuvre du peintre espagnol.

« Chaque corps était un royaume qui s'était donné pour centre à l'univers. Chaque cas composait un pan de la fresque qui, quand j'aurais résolu toutes les énigmes, me donnerait une peinture synoptique, définitive, de la nature humaine. Il fallait continuer, je devais continuer. Je continuais. C'est alors que Goya a fait de nouveau irruption dans ma vie, qu'en fait il n'avait jamais quittée. »

Et puis arrive la deuxième partie, « Le Songe de la raison » ( aussi un titre emprunté à Goya ). Sarah Chiche opère un changement de braquet spectaculaire, en changeant de narratrice avec l'irruption inattendue d'un personnage, à peine mentionnée dans la première partie au point qu'il n'avait qu'à peine attiré mon attention, et qui va apporter un éclairage saisissant sur l'histoire des parents de Camille. On est happé par son quasi récit monologue face à Camille, mise en scène virtuose dans laquelle des détails de la première partie prennent sens et s'enflamment.

Et la captivante trame autour de Goya se déploie, Goya qui a dévoré la vie de ses parents puis la sienne sans qu'elle s'en rende compte, tel Saturne dévorant ses enfants . Goya et l'histoire dingue de son crâne volatilisé lors de son inhumation en 1828 dans le cimetière de la Chartreuse à Bordeaux. Sarah Chiche présente les théories classiques sur la disparition du crâne de Goya et en invente de nouvelles autour de cette relique d'un génie.
Sarah Chiche régale en mêlant magnifiquement quête familiale et enquête sur le crâne de Goya.

Depuis Les Enténébrées et Saturne, on connait les obsessions de l'autrice : l'expérience du deuil au centre du rapport au monde et la difficulté d'inventer sa vie hors du tracé familial. Avec Les Alchimies, elle va au-delà. Lorsque Camille reprend la narration, elle va devoir regarder en face l'emprise de héritage parental sur sa vie et percer le secret de «  ce qu'il y a dans toutes les têtes (qui) s'apparente à un opération alchimique ».

Même si le dénouement est un peu timide par rapport à la flamboyance qui a précédé, j'ai refermé le livre acquis à lui, à son romanesque qui souffle haut, à ce portrait de femme singulier et lumineux, à cette écriture puissante qui vibre de partout.




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